Leçon d’anatomie | Clin d'œil
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Leçon d’anatomie

Trop grand, trop mou, trop mince... le corps fait l'objet des pires critiques, et surtout des nôtres! On a donc invité cinq personnalités, qui réfléchissent ou travaillent avec leur corps, à discuter de ce sujet sans complexe.

ANNE-MARIE LOSIQUE se passe de présentation: animatrice et productrice, elle a interviewé les plus grandes stars du monde entier. En 2010, elle a lancé Vanessa, une chaîne de divertissement pour adultes.

DEBBIE LYNCH-WHITE est actrice. On adore la détester dans la télésérie Unité 9, à Radio-Canada, où elle campe Nancy Prévost, une méchante — et mystérieuse — intervenante de première ligne.

CATHY GAUTHIER est humoriste et se décrit comme un «trucker dans le corps de Minifée». Elle présentera son troisième spectacle solo dès novembre 2014.

MAUDE ARSENAULT est photographe de mode et propriétaire de la galerie d’art en ligne ThePrintAtelier.com. On peut souvent voir ses images dans nos pages. Elle attend son troisième enfant.

MARIE-CLAUDE LORTIE est coauteure du livre Mangez! (publié aux éditions La Presse) en collaboration avec la nutritionniste Guylaine Guèvremont. Elle est aussi critique gastronomique et chroniqueuse au journal La Presse.

 

Quand on se compare...

ÊTES-VOUS TANNÉES D’ENTENDRE PARLER DU CORPS FÉMININ ET DE STANDARDS DE BEAUTÉ?

Cathy: Ce sont nos chums qui n’en peuvent plus. J’arrive de vacances et, sur la plage, je ne savais plus où cacher mes complexes. Je regardais les autres filles en disant: «Regarde ses seins! Et elle n’a pas de cellulite. Moi, j’en ai jusqu’aux genoux. Je ne vais pas me baigner!» On se compare tout le temps. Je pense que la femme est ainsi faite, malheureusement.

Maude: Les petites filles sont élevées dans le paraître, beaucoup plus que les garçons. On se remet toujours en question si on grossit, si on maigrit, si on n’aime pas nos cheveux, si on a des boutons... On se compare.

Anne-Marie: On est toujours les unes contre les autres. C’est très énervant! C’est pourquoi je n’ai pas de groupe de filles. Je trouve ça débile, toutes ces insécurités! C’est vrai que les hommes n’en peuvent plus qu’on en parle. Je dis «on», mais je ne m’inclus pas là-dedans. 

Maude: Par contre, les hommes entretiennent cette situation aussi...

Anne-Marie: Ils ne l’entretiennent pas! C’est nous qui le faisons.

Cathy: Même si mon chum n’arrête pas de me dire que je suis la plus belle, je ne le crois pas et je lui dis:
«Ta gueule! La fille là-bas est bien plus belle!»

Anne-Marie: Se comparer, ça devrait être positif! Moi non plus, je ne me trouve pas belle, mais je ne suis pas complexée par rapport aux plus belles. Au contraire, je me dis: «Ah tiens, je devrais peut-être aller me faire une petite séance de gym!» Je le vois comme une inspiration.

Maude: Quand j’avais 20 ans, mes deux meilleures amies étaient des superpétards, et j’étais invisible pour les gars. J’avais deux possibilités: tout faire pour devenir plus belle ou compétitionner sur un autre plan. J’ai décidé de miser sur la personnalité et la conversation.

Marie-Claude: Moi, je pense qu’on en parle trop. Mais la réalité, c’est que le pourcentage de personnes qui sont très à l’aise avec leur corps, comme Anne-Marie, est minime dans la société. La plupart des femmes sont préoccupées par leur corps et elles en souffrent.

ALORS, MÊME LES BELLES FILLES ONT DES COMPLEXES?

Marie-Claude: Je suis partie en voyage avec une amie que je trouve absolument sublime. Une de ses copines s’est jointe à nous: elle ressemblait à Gwyneth Paltrow. Mais rapidement, je me suis rendue compte que le sosie de Gwyneth se regardait tous les matins dans le miroir et hallucinait par rapport à ses défauts. Ça m’a donné une grande leçon: je me suis dit que, même si je ressemblais à ça...

Cathy: ... tu ne serais pas nécessairement bien dans ta peau.

Marie-Claude: Exactement! C’est une quête sans fin.

Cachez ce corps que je ne saurais voir

ÊTES-VOUS À L’AISE AVEC LA NUDITÉ?

Debbie: J’ai l’air de ce que j’ai l’air et je n’ai aucune intention de ressembler aux standards des magazines. Quand j’ai dansé nue pour un spectacle du chorégraphe Dave St-Pierre, le commentaire qui revenait le plus souvent de la part de toutes les femmes était: «Tu es tellement courageuse!» Pourquoi? Si tu me ressemblais, tu te cacherais dans une housse de BBQ? Je n’ai jamais eu l’impression de faire un acte de courage.

Anne-Marie: Oui, c’est insultant.

Maude: Se mettre nu, c’est l’exercice le plus extraordinaire du monde! On gagnerait tous à se libérer de notre corps.

Debbie: Il y a une espèce de liberté associée à la nudité.

Maude: Pour les besoins d’une exposition, je me suis prise en photo nue, toute seule dans mon studio. C’était brut, sans retouches. Juste avant d’exposer mes photos, j’ai eu un moment de panique. Mais, finalement, ça m’a fait un bien fou. Pendant plusieurs mois après, je me suis sentie comme une nouvelle femme. J’avais mis mon corps à nu, je m’étais assumée avec mes défauts.

Cathy: Personnellement, le monde nu me rend assez mal à l’aise. Dans mes spectacles, mon personnage est vulgaire. Mais dans la vie, je suis très straight. Mes amies m’appellent «Grand-maman».

Maude: Est-ce lié à la façon dont tu as été élevée?

Cathy: Oui. Jeune, j’ai mangé une claque derrière la tête parce que j’avais ouvert la porte de la salle de bains et que mon père y était tout nu. Dans ma famille, la nudité était très mal vue.

Maude: Ça, c’est très culturel.

EST-CE QU’ON ASSOCIE AUTOMATIQUEMENT LA NUDITÉ AU SEXE, AU QUÉBEC?

Marie-Claude: Je suis allée en vacances au Danemark avec ma famille. On était sur une plage et on a vu un couple de cyclistes arriver. Ils se sont déshabillés, se sont baignés, puis ils se sont rhabillés et sont repartis! Quand on a raconté ça, les Scandinaves n’étaient pas surpris ou choqués. Pour eux, c’est la chose la plus normale qui soit. Au Québec, c’est extraterrestre.

Cathy: La première fois que je suis allée chez mes beaux-parents, mon chum m’a dit: «Si tu te lèves pendant la nuit, il se peut que tu croises mon père à poil.» J’ai dit: «Si je vois ton père nu, je ne reviens plus jamais ici!»

Marie-Claude: Oh, mon dieu, il faut que tu ailles faire une thérapie au Danemark!

Modifier son corps ou non?

VOICI LA PHOTO QUE NOUS AVONS UTILISÉE POUR LA PAGE COUVERTURE DE CE MOIS-CI.

LA MANNEQUIN A UN MINUSCULE VENTRE, MAIS ON A DÉCIDÉ DE NE PAS LE RETOUCHER. QU’EN PENSEZ-VOUS?

Anne-Marie: Moi, je l’ai vu tout de suite. Je ne trouve pas ça laid, mais je l’ai remarqué. Quand c’est artistique et bien réalisé, je ne suis pas contre la retouche. Je trouve qu’il faut entretenir le rêve. Mais la photo que vous nous montrez est magnifique.

Cathy: En regardant cette fille, je ne me dis pas: «Oh, mon Dieu, elle a un ventre!» La journée où je vais en avoir un comme ça, je vais être heureuse!

Marie-Claude: Moi aussi!

Debbie: Moi, j’en ai 10 ventres comme ça!

Maude: Je ne trouve pas ça laid du tout non plus. Mais, moi aussi, j’ai tout de suite vu tout ce qu’il y aurait à retoucher.

Debbie: C’est une déformation professionnelle.

Maude: Dernièrement, j’ai photographié de vraies femmes pour une campagne, avec des blogueuses en lingerie pour les magasins Addition-Elle. J’étais vraiment excitée de le faire. Avec le temps, je prends conscience de ma responsabilité face à l’image corporelle des femmes, mais c’est difficile de faire évoluer les choses et de sortir du moule de la minceur.

Debbie: De mon côté, avec le succès d’Unité 9, c’est tout nouveau pour moi de me retrouver dans des magazines. C’est fou comment les retouches ne sont pas toujours bien faites. J’ai posé pour une revue, et ils ont enlevé les grains de beauté que j’ai au visage!

Anne-Marie: C’est dommage parce que c’est ta personnalité.

Debbie: Mes amis ne me reconnaissaient pas, et moi non plus. Où est l’authenticité? Je n’ai pas non plus envie d’être quelque chose que je ne suis pas.

QUE PENSEZ-VOUS DE LA CHIRURGIE PLASTIQUE? Y AURIEZ-VOUS RECOURS?

Maude: Je n’ai jamais pensé aller voir un chirurgien esthétique. Mon but n’est pas d’être parfaite physiquement. Je connais pourtant beaucoup de filles qui se sont fait refaire les seins et qui sont devenues vraiment heureuses. Dans ce cas, pourquoi pas? Mais j’aime le naturel. Je regardais les Oscars en février: les femmes étaient très belles, mais c’était des poupées. Ça manquait de vie!

Debbie: Oui, elles se ressemblaient presque toutes. Je trouve ça moins intéressant. Ce n’est pas quelque chose qui m’attire.

Cathy: Je me suis fait piquer dans le front parce que mes sillons m’énervaient trop. Je me voyais à la télé et je le remarquais tout de suite: j’avais toujours l’air fâchée. Je l’ai avoué à mes amies. Elles m’ont traitée de conne et m’ont dit de ne plus recommencer, parce que je n’aurai plus la même face. Mais je me trouve plus belle. J’aime mieux ça et j’ai l’air plus jeune.

Anne-Marie: Je trouve que la chirurgie, c’est un peu une extension du maquillage et du laser. C’est une évolution naturelle. Se teindre les cheveux n’est pas moins toxique, en passant. De nos jours, c’est la chirurgie qui est à la mode. Dans 20-30 ans, ce sera autre chose. Est-ce que c’est bien ou pas? Je ne le sais pas.

Une relation amour-haine avec la bouffe

D’ACCORD, LES FILLES, SOYEZ HONNÊTES: SURVEILLEZ-VOUS CE QUE VOUS MANGEZ?

Cathy: Au secondaire, j’ai été anorexique pendant 10 minutes pour être à la mode parce que mes amies l’étaient. Je partais toutefois avec deux handicaps: chez nous, la porte de la salle de bains ne se verrouillait pas, et la toilette ne «flushait» pas. Je suis allée dehors et j’ai vomi dans ma manche de manteau d’hiver. Ma mère m’a donné une claque derrière la tête et m’a dit: «Si tu veux maigrir, “slacke” sur les gâteaux Vachon.»

Debbie: Moi, j’ai toujours été la plus grande et la plus grosse, et j’ai toujours fait beaucoup de sport. Mais les chips, c’est mon vice. Si j’achète un sac à l’épicerie, je le finis. C’est pourquoi je n’en achète pas. Mais, s’il y en a dans un party, je vais en prendre. Je ne me dirai pas: «C’est le démon!» Et je ne me sentirai pas coupable après. Ce n’est pas vrai que je vais commencer à compter mes calories... Ça doit être horrible de le faire! 

Cathy: Dans le monde animal, les ours ne comptent pas leurs calories. Ils attrapent leur bouffe et ils la mangent. Ma mère disait: «Si tu as faim, mange, ça va passer!»

Anne-Marie: Ta mère est pleine de bon sens!

Marie-Claude: La question qu’on me pose le plus souvent en tant que critique gastronomique, ce n’est pas le nom de mon restaurant préféré, mais: «Comment fais-tu pour ne pas engraisser?» Ça signifie que, lorsque les gens pensent à la nourriture, ils sont centrés seulement sur les calories. Je trouve ça d’une tristesse incroyable. Il faut arrêter cette obsession!

Anne-Marie: Oui, ça ne mène à rien. Je suis très gourmande, mais je mange en petites quantités. Et, quand j’ai envie d’un bon tiramisu, je ne me prive pas.

Marie-Claude: On ne peut pas changer le monde et devenir des leaders si on suit un régime et qu’on est affamées, ou si on se trouve nulles en entrant dans une pièce parce qu’on est trop ceci ou pas assez comme ça.

Cathy: Le régime miracle n’existe pas! Sinon on le connaîtrait.

Si jeunesse savait...

QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS À UNE FILLE DE 12 ANS?

Debbie: Je lui dirais: «Le regard des autres est constamment sur nous, mais ne prends pas de décisions liées à ton image pour faire plaisir aux autres. Trouve ta force, pète-toi la gueule, relève-toi et bâtis quelque chose qui ne s’appuie pas juste sur le choix de la jupe que tu dois porter aujourd’hui.» 

Cathy: «Ne te laisse rien imposer.» Au secondaire, je me faisais intimider parce que j’étais rousse. L’autodérision m’a sauvée.

Anne-Marie: Tu étais différente et unique: c’était une force. Avoir de la personnalité, ça peut provoquer, mais  il n’y a rien de plus beau. Les personnes qui ont fait avancer la société sont celles qui sont allées de l’avant, et non pas celles qui ont suivi un groupe.

Marie-Claude: «Ne suis jamais de régime parce que c’est juste un paquet de troubles et ça n’apporte rien. Et n’écoute pas les gens qui te parlent de calories. Tu as faim, tu manges. Tu n’as plus faim, tu arrêtes. Il faut manger pour vivre. Le cerveau a besoin de glucides!»

Cathy: «Tu as 12 ans, va jouer dehors!»

Maude: «N’aie pas peur d’être différente. Crois en tes idées, en tes projets. Et ne perds jamais ta curiosité:  c’est le moteur du bonheur.» 

Marie-Claude: L’important, c’est de mettre de l’avant ce qu’on aime. On aura beau changer de coupe de cheveux et se faire faire toutes les chirurgies plastiques du monde, tout se passe d’abord dans la tête.

 

LE MILIEU DE LA MODE SE MOBILISE

En 1975, les mannequins pesaient 8 % de moins que la moyenne des femmes. Aujourd’hui, elles en pèsent 23 % de moins. Pas étonnant qu’on entretienne une image négative de notre corps. Mais voici quelques nouvelles qui donnent envie de célébrer:

➻ Le magazine Vogue a récemment annoncé qu’on ne trouverait plus dans ses pages de mannequins de moins de 16 ans ou qui semblent souffrir de troubles alimentaires.

➻ Depuis le décès en 2006 de la mannequin brésilienne Ana Carolina Reston à cause de complications reliées à l’anorexie, l’Italie a imposé des règles au milieu de la mode: les mannequins avec un IMC de moins de 18,5 sont bannis des podiums. Même chose en Espagne, où l’on n’accepte plus les mannequins avec un IMC de moins de 18.

➻ Lancée en 2009, la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée vise à faire évoluer les critères de beauté et donne lieu à de belles initiatives d’ici.

 

LE PIRE JUGE? SOI-MÊME!

Un sondage effectué par le magazine américain Glamour auprès de 300 femmes de tailles et de poids variés a démontré
que 97 % d’entre elles n’aiment pas leur corps et qu’elles ont en moyenne 13 pensées dénigrantes envers elles-mêmes par jour. Des exemples?

➻ «Tu es obèse. Toutes les belles femmes portent du 2.»

➻ «Ton ventre est énorme. Ce n’est pas pour rien que tu es célibataire.»

 

ADOS ET PERCEPTION D'EUX-MÊMES: DES CHIFFRES TROUBLANTS

Au Canada, 34 % des filles et 24 % des garçons au secondaire se considèrent gros. 

Aux États-Unis: ➻ 88 % des filles âgées de 15 à 25 ans changeraient quelque chose à leur corps si elles le pouvaient, et c’est la même chose pour 73 % des garçons de la même tranche d’âge. 

➻ Les parties de leur corps que les filles aiment le moins: le ventre (46 %), les cuisses (29 %), les fesses (19 %)
et les seins (18 %). Chez les garçons: le ventre et les muscles (18 %), le torse, la bouche et les joues (14 %).

➻ 15 % des jeunes, tous sexes confondus, seraient prêts à envisager d’avoir recours à la chirurgie plastique.

Source

 

Conversation animée par Sophie Banford, directrice, marques et contenus Clin d'oeil

 

Lisez une autre conversation avec cinq autres personnalités féminines qui discutent de la beauté.

propos recueillis par Lisanne Rheault-Leblanc, recherche par Valérie Roberts

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