Geneviève Schmidt: l’amour du jeu
L’actrice de 40 ans a beau sortir d’un marathon de 160 jours consécutifs de travail, elle se laisse aller à quelques cris de joie en posant pour notre couverture d’avril. Énergique, vous avez dit? Entrevue.
Compter plusieurs beaux rôles quand on est comédienne, c’est une vraie chance. Geneviève Schmidt nous le confirme, une lueur dans l’oeil. Celle qu’on a pu suivre au petit écran dans Unité 9, Ruptures, Les Magnifiques, Les Sapiens et L’Échappée ne chôme pas non plus du côté du théâtre et du cinéma. Durant deux bonnes heures, elle s’est racontée généreusement. Et, enthousiaste, elle nous a jasé du métier qui l’a choisie... et qu’elle a irrémédiablement adopté.
Tu as passé ton enfance au Théâtre des Cascades à Pointe-des-Cascades, dirigé par tes parents. Quels souvenirs en gardes-tu?
J’y ai passé toutes mes journées et soirées d’été. Je donnais un coup de main. Mon oncle, qui fabriquait les décors, faisait des petits trous dedans pour que je puisse me cacher en coulisses et observer les acteurs sur scène. J’ai tellement appris juste en les regardant et en les écoutant!
Quelle sorte d’enfant et d’adolescente étais-tu?
Gênée! Toujours dans mon coin à observer les autres. Et j’haïssais l’école, je trouvais ça d’un ennui! Je préférais aller travailler avec ma mère, dans sa boutique de vêtements pour hommes. À l’âge de 14 ans, j’ai trouvé qu’il était temps de me discipliner, alors j’ai décidé d’aller étudier au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie à Montréal, un établissement pour filles très structuré. On avait des cours de théâtre, et j’y ai eu vraiment beaucoup de fun!
Par la suite, tu as d’ailleurs continué à travailler en production théâtrale...
À 17 ans, j’ai été mise à la porte du Collège Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse après une habituelle vague de coupures dans la cohorte – c’est ainsi que ça se passe dans les écoles de théâtre! –, alors je suis naturellement retournée travailler en coulisses. J’ai été conductrice en tournée et régisseuse sur des spectacles de Serge Boucher et de René Richard Cyr. Un soir, en regardant les comédiens jouer, j’ai eu un déclic: «C’est bien sur scène que je dois être, moi aussi!» Peu après, le Conservatoire d’art dramatique de Montréal m’a offert une formation après m’avoir vue donner la réplique à un ami en audition. J’ai refusé, parce que j’étais échaudée à cause de ma première expérience. L’année suivante, la même situation s’est reproduite, cette fois à l’École nationale de théâtre du Canada. Après réflexion, j’ai accepté. Je suis comme Roy Dupuis: lui aussi a été admis après avoir été découvert à l’audition d’un ami! (Rires)
Comment s’est passée ta sortie de l’école?
Lors des auditions générales du Théâtre de Quat’Sous, où les gens du milieu découvrent les nouveaux diplômés, j’ai reçu 13 offres d’agences. C’était incroyable... Je pense que même Roy Dupuis n’en avait pas eu autant! (Rires) Les années qui ont suivi ma formation, j’ai fait beaucoup de théâtre. Puis, j’ai commencé à jouer pour la télévision.
L’histoire de Jessica Poirier, ton personnage dans Unité 9, est l’une des plus lourdes à avoir été portées à notre écran ces dernières années. Comment l’as-tu abordée?
Ce qu’elle a fait – causer la mort de sa fille par négligence – est impardonnable. On m’avait dit que le public serait sans pitié... Finalement, c’est le contraire qui est arrivé. Les téléspectateurs l’ont adoptée. Ça a même poussé l’auteure à lui laisser plus de place que prévu. Je n’avais jamais joué de grand rôle dramatique avant, et je pense que le réalisateur Jean-Philippe Duval a vu en moi quelque chose que j’ignorais. Je me suis abandonnée à ce projet, où j’ai trouvé ma première famille professionnelle. Quand les tournages se sont terminés l’automne dernier, ça a été difficile.
Comment dit-on au revoir à un personnage qui nous a tant marquée?
Honnêtement, je ne sais pas; il faudrait qu’on s’en reparle dans un an! Il y a encore des moments où je me rappelle soudainement que je ne recevrai plus de textes de Jessica à apprendre. Je me dis que ça ne se peut pas. Il me semble que j’en ai encore tellement à dire!
Du côté de la comédie, on t’a découverte dans l’émission de sketchs Les Magnifiques. Comment ce projet est-il arrivé dans ta vie?
Par hasard! Ça n’avait pas fonctionné pour moi à l’audition, mais une comédienne s’est finalement désistée. À 48 heures d’avis, Louis Morissette, le producteur, a proposé que je prenne sa place. J’ai embarqué et je ne regrette rien! On a tellement de plaisir. Certains de nos sketchs font le tour de la francophonie en ce moment et totalisent 15 millions de visionnements sur YouTube. C’est fou!
L’été prochain, tu seras en vedette dans la comédie Menteur, d’Émile Gaudreault. Que peux-tu nous dire sur ton personnage?
C’est un vrai cadeau, ce rôle, parce qu’Émile me l’a offert après m’avoir vue jouer au théâtre. Dans ce film, Louis-José Houde incarne un menteur compulsif dont tous les mensonges deviennent réalité. Je joue le rôle de sa patronne, qui est très responsable. Par contre, le personnage de Louis-José ayant tellement menti à propos de moi, je deviens l’opposé de ce qui serait généralement attendu d’une patronne. C’était la première fois que je travaillais avec lui. Le regarder jouer, c’est une école en soi! Il est discipliné et vraiment généreux avec l’équipe. Je l’ai trouvé très hot!
Est-ce que ton horaire chargé te demande beaucoup d’organisation?
Si j’étais toujours éparpillée plus jeune, je suis super disciplinée aujourd’hui. Quand on arrive sur un plateau et qu’on voit des techniciens à l’oeuvre depuis des heures, parfois au grand froid, c’est la moindre des choses d’être à son affaire et de connaître ses lignes! J’ai déjà connu quelqu’un qui arrivait sur le plateau sans jamais connaître son texte. Je trouvais ça tellement égoïste! C’est drôle, hein, mais cet acteur-là, on ne le voit plus nulle part! (Rires)
Au cours des deux dernières années, tu as perdu ton père et tu as vécu une séparation. Comment surmontes-tu ces épreuves?
Ma famille et moi, on commence à peine à se remettre de la mort de mon père. Je pense que le temps va m’apprendre à faire mon deuil. Le travail me sert beaucoup de thérapie. La fin de semaine de son service funéraire, j’ai tourné des épisodes de Ruptures. La production était prête à me libérer, mais c’était hors de question pour moi. Parce que mon père m’aurait dit: «Tu es chanceuse de travailler, alors vas-y.» J’ai eu la même réaction après ma séparation. L’an dernier, j’ai travaillé 160 jours en ligne et j’ai dit adieu à ma relation après cinq ans et demi, en cours de route. Le lendemain, je commençais à tourner Menteur. Est-ce par devoir ou par déni que je ne me suis pas accordé de pause? Sûrement un peu des deux.
Tu as été aidante naturelle durant plusieurs années auprès de ton père, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer. Qu’est-ce que cela t’a appris?
Que je suis forte! Je n’aurais jamais pensé en être capable. Et ça m’a apporté une solidité qui me suit jusque dans le métier. Quand je dois pleurer pour une scène, je sais où aller chercher. Parce que, bien sûr, ce n’est pas devant mon père que je m’autorisais à pleurer... Et puis, quand je jouais et déconnais sur le plateau des Magnifiques ou des Beaux malaises, ça me faisait un bien fou! C’est ce qui me permettait d’être forte pour lui, le lendemain.
Tu as eu 40 ans l’an dernier. As-tu vécu une petite crise existentielle?
Non, pas eu le temps! (Rires) Je n’ai même pas fêté mon anniversaire à cause du travail. Mais attends de voir à mon 41e par exemple! Disons que depuis l’an dernier, je réapprends surtout à être célibataire. Et à me laisser du temps pour rencontrer des gens... Parce que je ne veux pas rester seule toute ma vie non plus! Mais il n’y a pas de stress, je n’ai pas peur de la solitude.
Tu travailles énormément aujourd’hui, mais as-tu déjà craint de manquer de travail?
Ça va arriver! Il y a des gens qui n’ont pas de contrat pendant cinq ans, puis qui enchaînent plusieurs rôles. Il y en a qui travaillent beaucoup en sortant de l’école, puis qui passent plusieurs années sans rien décrocher ensuite... Je vais sûrement vivre des épisodes comme ça aussi, mais ça ne me fait pas peur. Je sais, par contre, que je n’accepterais jamais un rôle pour des raisons financières.
Comment prends-tu soin de toi?
Je m’entraîne avec Christian Maurice deux à trois fois par semaine. C’est lui qui a accompagné Antoine Bertrand pour Louis Cyr et Debbie Lynch-White pour La Bolduc. Par contre, je ne le fais pas pour un rôle, mais juste pour moi. C’est un cadeau que je me suis fait pour mes 40 ans. C’est bon pour mon corps, mon mental, mon sommeil et ma concentration.
On te demande parfois de te prononcer sur la diversité corporelle dans les médias. Es-tu confortable de le faire?
Je pense qu’en ce moment, à la télé, on voit plus de diversité culturelle et corporelle. Heureusement! Mais c’est touchy de parler de ça. Je trouve qu’il y a des personnalités publiques qui sont meilleures que moi pour le faire. Est-ce que ma silhouette m’a déjà nui pour certains projets? Oui. Mais je n’ai jamais manqué de travail pour autant. Si j’ai toujours été plus ronde que mes amies, je n’ai jamais eu de difficulté avec les hommes. Je me suis toujours trouvée belle. Je sais aussi pertinemment que je suis beaucoup plus en santé que bien des gens plus minces... J’ai perdu 15 livres cette année, et je ne suis pas plus heureuse pour autant! Aimons-nous, point! Ça peut être le fun, la différence. Moi, que je sois blonde, brune, ronde ou non, je suis prête pour la suite. Et je continue!
Par: Véronique Alarie | Photos: Neil Mota | Stylisme: Véronique Delisle