Caroline Côté, la femme la plus rapide de l’Antarctique

En janvier dernier, la Québécoise Caroline Côté parcourt 1130 km en ski, seule et en autonomie, pour rejoindre le pôle Sud en un temps record. Un défi personnel et une façon de briser les stéréotypes envers les femmes, mais aussi un autre exploit pour cette aventurière et cinéaste qui brille de plus en plus sur la scène internationale.
Elle est svelte, plutôt menue, et sa présence dégage une aura de calme et de douceur. Sa voix feutrée est posée et son regard cherche parfois à fuir, comme deux fenêtres ouvertes sur une timidité innée. Et quand on observe ses doigts d’artiste, longs et minces, on ne les imagine pas d’emblée s’agripper fermement à une pagaie ou à des bâtons de ski pour pousser vers l’avant un corps filiforme, presque frêle.
Et pourtant, derrière ces apparences trompeuses de délicatesse, on découvre une femme déterminée, courageuse et persévérante, au moral trempé dans l’acier et dont les muscles semblent receler des masses inépuisables d’énergie. «Elle a une force de caractère hors du commun», dit son père, Réal Côté. «C’est une vraie guerrière», assure sa mère, Angéline Dazé. «Une véritable force tranquille», ajoute l’aventurier Martin Trahan, qui la suit depuis ses débuts.
En janvier dernier, Caroline Côté atteint le pôle Sud en ski, en 33 jours, 2 heures et 53 minutes, franchissant 1130 km sans assistance. Un véritable exploit d’endurance, mais aussi une performance inégalée, puisqu’elle vient de pulvériser un record mondial de vitesse, celui de la Suédoise Johanna Davidsson, qui a pris cinq jours de plus pour effectuer le même parcours. Pour y arriver, la Longueuilloise de 36 ans doit pousser la machine neuf heures par jour sans s’offrir une seule journée de répit et en ne prenant que de courtes pauses. Elle dort sous une tente exposée aux vents incessants et à un soleil qui ne se couche jamais, en plein été austral. «J’ai juste tout donné, toute mon énergie, toutes mes calories, dit-elle. Les moments, les minutes étaient comptés.»
L’athlète devient la première Québécoise à gagner le pôle Sud. De ce fait, elle entre dans le club restreint des femmes qui ont relevé ce défi en solo – et l’on n’en compte pas 10 sur la planète. L’exploit est d’autant plus impressionnant que Caroline Côté n’apprécie pas spécialement le froid et les espaces polaires. En revanche, on la sait attirée par les défis et les extrêmes, comme l’aiguille d’une boussole l’est par les pôles.
Toute une feuille de route!
Ces 10 dernières années, Caroline Côté multiplie les aventures d’envergure. Cette ultramarathonnienne d’expérience, capable de courir deux jours sans dormir ou presque, parcourt ainsi 2000 km à pied, en ski et à vélo pendant 74 jours, entre Natashquan et Montréal (expédition électrON, 2018); relie Montréal à Banff en 30 jours sur un vélo à une vitesse (fixed gear), en 2020; et traverse l’archipel du Svalbard en 63 jours sur 1123 km, en ski et en plein hiver polaire, avec son conjoint explorateur Vincent Colliard (expédition Polar Shadows, 2021) – entre autres aventures.
«Je ne connais personne qui a une aussi grande capacité d’adaptation», dit Martin Trahan, qui a pagayé 2000 km à ses côtés sur le fleuve Yukon lors de l’expédition Pull of the North, en 2016. «Même lorsqu’elle n’a pas d’expérience dans un domaine, elle se lance dans des défis incroyables et elle apprend très rapidement en n’ayant jamais peur de sortir de sa zone de confort.»
Une femme dans un monde d’hommes
Ainsi, en 2014, Caroline Côté se joint à l’expédition XP Antarctik pour la documenter en tant que cinéaste d’aventure, alors qu’elle n’a jamais fait de camping d’hiver et que sa seule véritable «aventure extrême» consiste à avoir terminé l’Ultra-Trail Harricana, une course costaude en sentier de 125 km.
«Ce que j’aime beaucoup chez elle, c’est sa capacité à briser les barrières, à s’attaquer aux normes», dit Vincent Colliard. Après tout, n’a-t-elle pas pris part à cette aventure pour briser les stéréotypes envers les «faibles femmes», entre autres choses?
Lorsque Caroline arrive au pôle Sud, l’exploratrice britannique Hannah McKeand, première femme à atteindre le pôle Sud en solo, l’attend pour la féliciter. «Ce sont des femmes comme elle et Johanna Davidsson qui m’ont ouvert les yeux sur ce que pouvait représenter ce défi, et donné envie d’aider d’autres femmes, un jour, à le faire aussi», souligne Caroline.
Pour elle, trop peu d’aventurières se lancent dans de telles expéditions, souvent l’apanage de leurs vis-à-vis masculins. Sitôt son dernier exploit accompli au pôle Sud, Caroline Côté s’empresse donc de déclarer publiquement qu’elle aiderait quiconque voudrait battre son record fraîchement établi. «C’est l’une des choses qui, selon moi, font avancer la cause des femmes. J’ai envie d’être là pour elles plutôt que d’être en compétition, et je préfère nous voir grandir ensemble, en tant que communauté.» Pas sûr qu’on ait déjà entendu pareil discours chez des aventuriers masculins.
L’esprit d’aventure
Ce n’est pas d’hier que Caroline Côté a la bougeotte et des envies d’exploration. «Dès l’âge de 10 ou 12 ans, elle partait dans les bois plusieurs heures avec ses cousines, à La Malbaie», se rappelle son père. À l'adolescence, elle prenait son longboard pour aller à Montréal par le pont avant de rentrer à Longueuil de la même manière. «Je découvrais alors que je pouvais couvrir de grandes distances par mes propres moyens», dit-elle.
Au cégep, elle se montre d’abord intéressée par la paléontologie marine, mais elle comprend vite que c’est le volet «exploration» qui lui plaît dans ce boulot, et elle abandonne l’idée. Elle opte plutôt pour le cinéma et les communications, afin de devenir cinéaste d’aventure, mais elle n’a personne à qui se comparer: ce métier n’existe tout simplement pas, à l’époque, au Québec.
À l’université, elle jette donc son dévolu sur la publicité et l’infographie, où elle trouve en partie son compte dans la créativité qu’implique son travail. Mais ses stages et la pression du milieu la font vite déchanter. Elle renoue alors avec ses premières amours et part à Banff suivre un cours sur le documentaire d’aventure.
Dès la jeune vingtaine, Caroline Côté enchaîne les ultramarathons, ces courses extrêmes en sentier qui durent parfois plus d’une journée. «C’était parfait pour me préparer à ce que je fais maintenant: on va au maximum de soi-même, au pire de ses capacités. Comme en exploration polaire, on atteint souvent ses limites avant de réaliser que ce ne sont pas de vraies limites, qu’il faut aller encore plus loin.»
Parallèlement, elle entame sa vie d’aventurière et de cinéaste en réalisant plusieurs films et documentaires, dont Traversées (2020), en collaboration avec Florence Pelletier, dans lequel elle suit cinq femmes sur un sentier traditionnel inuit. L’automne dernier, elle remportait un Gémeaux pour Le dernier glacier, série télévisée coréalisée avec Arnaud Bouquet, avant de recevoir le Prix du public pour Njørd, coréalisé avec Vincent Colliard et Arnaud Bouquet, au festival Objectif Aventure de Paris, en janvier.
Désormais, la cinéaste-aventurière a des fourmis dans les doigts et trépigne à l’idée de renouer avec la caméra. «J’ai vraiment envie de réaliser des documentaires; c’est l’équilibre de ma vie, dit-elle. Je me suis rendue au pôle Sud; maintenant, j’ai envie de créer!» Plus que jamais, elle sent que l’aventure et la réalisation sont les deux ventricules de son cœur, même si, en Antarctique, elle n’a pas eu le temps de documenter son exploit, trop occupée qu’elle était à courir après son souffle.
Le septième continent, le plus inhospitalier
L’idée de gagner le pôle Sud seule et à toute vitesse lui est venue il y a quelques années. «Je m’interrogeais sur la façon dont l’être humain s’adapte à la nouveauté, aux défis, au stress et au danger, sur la manière dont il y fait face. J’avais envie d’être mon propre cobaye, de me mettre à l’épreuve et d'apprendre sur moi-même.»
Pour ce faire, l’Antarctique se révèle le meilleur endroit pour gagner la zone d’inconfort dans laquelle elle veut se précipiter, en tirant sa pulka (traîneau) de 75 kg: c’est le plus froid, le plus venteux et le plus sec sur la planète. C’est un désert polaire sans vie où, même pendant l’été austral, la température peut chuter à moins 40 degrés. Sans compter les crevasses, les sastrugis – des lamelles de neige durcie –, le voile blanc déboussolant des whiteouts et les terribles vents catabatiques – de gravité, qui descendent vers le bas – qui peuvent atteindre 200 km/h.
«J’avais aussi besoin d’aller voir qui j’étais toute seule, et comment je pouvais m’en sortir sans savoir que je pouvais compter sur quelqu’un», dit-elle, bien consciente qu’elle verrait ressortir le meilleur, mais aussi le pire de sa personne.
«Quand tu te découvres dans de telles conditions, tu deviens plus réceptif face aux autres. Étant timide de nature, ça me permet d’avoir envie de chercher la compagnie des gens, à mon retour.» D’autant plus qu’au pôle Sud, elle est non seulement allée au bout du monde, elle est aussi allée au bout d’elle-même, de ses doutes et de ses peurs.
Le doute comme carburant
Malgré tous ses acquis et son expérience, le ressac du doute n’est jamais bien loin dans l’esprit de Caroline Côté, même après des vagues de confiance. «En route pour le pôle Sud, chaque petit affront du quotidien m’amenait à douter», dit-elle. D’un naturel anxieux, l’aventurière a appris à ne pas avoir honte de montrer ses faiblesses. Non seulement ça ne lui nuit pas, mais c’est libérateur. «Ce qui est fou, c’est que j’ai l’impression que je dois tout de même vivre cette sensation d’anxiété pour être satisfaite du niveau de difficulté d’une aventure», dit-elle.
Pour mieux combattre la peur inhérente à chacune de ses expéditions, Caroline Côté préfère tenter de comprendre ses origines plutôt que de la nier. «Plus on parle de la peur, moins elle risque de survenir et plus on peut s’en prémunir.» Même s’il n’y a pas d’ours polaires en Antarctique, d’autres créatures plus insidieuses rôdent, des bêtes qui rongent de l’intérieur: la solitude, l’angoisse, l’affolement. «En 2014, j’ai affronté pour la première fois des vents ultraviolents et, sur le coup, j’ai eu une attaque de panique, j’ai perdu mon sang-froid. Si la toile de ma tente s’était brisée, je n’aurais plus eu d’emprise sur le territoire et il y a plein de petits détails [vêtements qui s’envolent, réchaud qui n’allume plus...] que je n’aurais pu gérer.» En expédition polaire, la tente, c’est plus qu’un abri, c’est la survie.
Heureusement, rien de tout ça ne s’est produit lors de son aventure au pôle Sud. «Il faut dire que j’ai toujours gardé un maximum de contrôle sur mon environnement et sur mon équipement, dit-elle. Et quand le vent soufflait trop fort, j’essayais de trouver ses points positifs en me disant qu’après son passage, il y aurait moins de neige.» Un réflexe de grande aventurière, en somme. «Caroline a tout un état d’esprit, dit Vincent Colliard. Et dans une expédition, c’est vraiment important. Quand ton esprit veut, ton corps suit.»
Pour la suite des choses
Maintenant qu’elle a battu ce record, Caroline Côté verra bien des portes s’ouvrir devant elle au cours des prochains mois: conférences, aventures, partenariats et exploration à guider pour des particuliers... Pour l’heure, elle est en train de travailler à un nouveau livre ainsi qu’à un balado relatant sa dernière expédition.
Même si elle s’était juré, en arrivant au pôle Sud, de ne plus jamais s’embarquer dans pareil périple au bout d’elle-même, elle songe néanmoins à de futures aventures. «Je pense à une traversée de l’Antarctique d’un littoral à l’autre, peut-être en solo», lâche-t-elle dans l’univers. Manifestement, les globules du défi lui gonflent encore les veines. «Une chose est sûre, c’est que je repartirai. Ça fait partie du bien-être et du bel équilibre que je recherche en amenant ma vie à un niveau supérieur. Évoluer en partie en société et en partie dans la nature, pour moi, c’est ce qui forme une existence riche et complète.»
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’elle. Pas plus tard qu’en février, elle a d’ailleurs remporté le Shackleton Award, une sorte d’Oscar de l’expédition polaire remis par ses pairs, pour sa traversée du Svalbard en ski. La voici hissée au rang des Børge Ousland et Mike Horn de ce monde, le tout avec une bonne dose de modestie – une grande qualité chez les aventuriers.
«Dans le monde de l’aventure, il y a plusieurs gros égos qui prennent beaucoup de place et qui dénigrent les autres, dit Martin Trahan. Pas Caroline... Elle est d’une humilité déconcertante. Elle met les autres à l’avant au lieu de prendre toute la place. Et là, elle est en train de prendre sa propre place à l’échelle internationale.»
10 choses à savoir sur Caroline Côté
Je ne pars jamais en expédition sans: ma veste polaire Helly Hansen Verglas et ma coquille Helly Hansen Odin 9 Worlds Infinity.
Pour me faire plaisir, on m’offre: des tasses fabriquées à la main. J’aime les matières premières, le bois, la terre cuite, les plantes pour décorer, de même que la culture hygge. Ça me fait du bien!
La chanson qui me donne de l’énergie: Welcome to Jurassic Park, de John Williams.
Une femme qui m’inspire: Sheila Watt-Cloutier, militante inuite qui se bat pour protéger sa culture, l’Arctique et la planète. Elle est l’auteure de l’ouvrage Le droit au froid (Écosociété, 2019).
Mon plaisir coupable: Rester à la maison et tricoter, lire ou trier ma collection de timbres sous une grosse couverture de laine. J’aime la philatélie: ça me calme avant ou après une aventure, et ça me permet d’apprendre sur les pays.
Mon parfum: Sì Fiori, par Armani.
Mon resto préféré: Le Elena, tout près de chez moi, à Saint-Henri, ainsi que son café-pizzeria caché, le Club Social PS.
Un drink que j’aime: Le pisco sour, qui me rappelle mes préparatifs avant mon départ de Punta Arenas, au Chili, pour l’Antarctique.
Ma prochaine destination: L’Arctique canadien, pour accompagner mon époux, Vincent Colliard, lors de son départ en expédition.
Ce qui me fait vraiment rire: L’auteure et chroniqueuse Catherine Ethier, mais aussi Vincent quand il imite l’ours polaire, dans le métro ou ailleurs. Sa passion pour cet animal est si forte qu’il se sent parfois un peu ours. Il mord aussi à l’occasion!
Pour aller plus loin Dépasser ses limites – 6 récits d’aventures, par Caroline Côté, Les Éditions Goélette, 2020, 160 p. Info à caroline-cote.com