Rosalie Vaillancourt, la transparente

Il est rare qu’une personnalité m’invite chez elle pour une entrevue. Ça se déroule le plus souvent sur un terrain neutre, dans un lieu qui n'en dit pas plus sur elle que ce qu’elle veut bien dévoiler. Mais ça, Rosalie s’en fout.
Je suis agréablement surprise que l’humoriste, qui a animé avec brio le dernier gala Juste pour rire, me propose de m’accueillir dans sa nouvelle maison. Quand je dis nouvelle, je n’exagère pas: j’aperçois des boîtes encore fermées à travers les fenêtres du salon. C’est son chum, Olivier, qui m’ouvre en s’excusant, les mains trempées d’eau de vaisselle. «Allô, Emmanuelle, entre! Rosalie couche la petite; elle ne devrait pas tarder.» Je lutte contre l’envie d’observer chaque recoin de ce joli nid en ébauche, vitré de tous côtés, ouvert à la lumière autant qu’aux regards curieux...
Rosalie ne tarde pas à apparaître, son visage de poupée encadré par une cascade de cheveux blonds. D’en bas, on entend sa fille qui commence à chigner. La petite fait ses dents. «Je pense qu’on va faire ça au parc, parce que sinon, je vais avoir de la misère à me concentrer.» Olivier prend le relais tandis qu’on file à l’ombre des grands arbres.
«C’est tellement beau ici mais, hey, moi, là, j’avais pas “catché” qu’en achetant une maison, il fallait que je déménage! On a accumulé plein de choses, chacun de notre bord! Je ne m’attache pas aux objets; je jette, je donne, je vends... pas de problème. Mon chum, lui, garde un billet de métro de Londres qui date de 2017. D’un coup qu’il irait...»
Mère aimante, carriériste assumée
En réécoutant l’entrevue (que j’enregistre sur mon téléphone pour pouvoir me souvenir de chaque détail), je me suis tapée sur les nerfs à m’entendre glousser toutes les deux secondes. Scoop: Rosalie est drôle. «Je crois que j’viens de voir une poule... Ah non, laisse faire, c’t’une feuille.» Elle a beau blaguer, je sens qu’elle prend cette entrevue au sérieux. OK, elle est désorganisée dans la vie, elle l’avoue, mais elle est hyper rigoureuse au travail. Bosseuse et exigeante. «Il faut qu’un projet soit bien écrit, c’est l’étape la plus importante. Ça se sent quand l’écriture est facile, pensée juste pour “pogner”. Je préfère quand c’est précis, bien ciselé.» À ce titre, il faut absolument regarder sa performance d’actrice dans le court métrage Sainte Marie-Josée part en croisade, écrit par Félix Brouillet, Charles-Alex Durand et Alec Pronovost (et réalisé par ce dernier). Récompensée par trois Gémeaux, dont celui de la meilleure actrice pour une émission ou série comique produite pour les médias numériques, Rosalie y est à mille lieues de la femme-enfant qu’on connaît. Elle est magistrale. La voix travestie, le visage pincé, elle incarne la femme aigrie qu’on espère ne jamais devenir! «Il y a un peu de Marie-Josée au fond de nous toutes. Moi, fatiguée, qui dis à mon chum sur un ton passif-agressif qu’il devait tourner à droite au feu? Ben, c’est ça.»
Outre sa transparence totale – j’y reviendrai – Rosalie est ambitieuse. «Pour mon chum, la job, c’est important, mais ce n’est pas tout. Pour moi, oui (rires)! J’ai été très attirée par ce trait de caractère, parce que tellement d’hommes ont fait passer leur travail avant leur famille... J’ai grandi auprès d’un père qui me faisait mourir de rire et qui a tout le temps été super présent. Ça compte! Oli m’encourage dans tout ce que je fais.»
C’est intéressant de l’entendre évoquer la parentalité. Elle a beau être épanouie dans ce rôle et parler déjà d’un autre enfant, elle n’est pas rongée par cette culpabilité que de nombreuses mères éprouvent en retournant travailler. Rosalie adore son métier. Passionnément. Quand je lui demande ce qu’elle trouve le plus difficile, elle réfléchit longtemps. Ne pas avoir envie d’aller au boulot est un sentiment qui lui est inconnu. Il y a bien les horaires atypiques, mais même ça, elle le voit comme un avantage. La routine du 9 à 5, très peu pour elle.
Une pandémie et un bébé en deux ans, ça n’a pas été trop rude pour sa carrière? «Au contraire. Ce sont mes deux plus grosses années professionnelles jusqu’à présent! Et depuis que j’ai ma fille, j’ai l’impression d’être meilleure dans ce que je fais, d’être meilleure avec les autres aussi. Ça m’a adoucie. Je réalise que la job, c’est tellement relax! Quand j’arrive à la maison, je ne me pose pas une seconde! Ma fille sait qu’elle va avoir du fun, par exemple. Je suis une maman clown.»
La transparence
Un vrai clown, pas un clown triste. Ici, l’humour n’est pas un feuillage coloré qui cache une forêt de désarroi. Ce qui n'empêche pas Rosalie d’être une grande émotive. «Je peux être colérique et j’ai tendance à dramatiser, surtout en amour. Prendre le temps de dire, ‘‘viens on se pose et on en parle calmement”, désamorcer la chicane avant qu’elle explose, communiquer autrement qu’à vif, tout ça montre de la maturité, c’est du temps qu’on devrait accorder à son couple pour en prendre soin, mais je trouve ça difficile.» Et puis, la créatrice n’est jamais loin... Avec elle, tout ce qui se vit, se voit et se ressent, même (surtout?) la honte, peut devenir matière à sketch.
Ses proches doivent poser des limites, car elle n’en a aucune. Elle dirait tout, et tout l’inspire. Une éponge. «Un film peut me hanter pendant des semaines et changer ma vision des choses.» Le truc, c’est que Rosalie croit au pouvoir d’une image, d’une phrase ou d’une attention qui fait basculer une vie. Elle aime être ébranlée. C’est beau quand ça arrive, mais ça se fait plus rare avec le temps. On s’émerveille moins facilement.
Son premier spectacle solo, Enfant roi, est désormais derrière elle. Je lui demande naturellement si elle en prépare un deuxième. «Je vais prendre mon temps parce que je ne veux pas juste que ce soit drôle, je veux que ce soit bon.» La différence s’ancre dans le souvenir. Pourquoi se contenter de faire rire le temps d’une soirée quand on peut marquer ne serait-ce qu’un esprit? «J’ai vu un show de Louis-José Houde quand j’avais 15 ans. Je me souviens qu’à un moment, il a parlé de sa blonde qui s’était fait avorter. Ça m’a choquée à l’époque, mais ça m’a suivie longtemps.» Sans surprise, Rosalie ne craint pas de créer le malaise. C’est même sa marque de commerce. Combiné à un goût pour l’absurde, ça donne un mélange décapant qui ne fait pas toujours l’unanimité, comme en témoigne son expérience de chroniqueuse à l’émission La semaine des 4 Julie. Attaquée par des internautes sur les réseaux sociaux, la jeune femme n’en garde pas d’amertume, juste une leçon: «Pendant la pandémie, j’ai trouvé ça dur que mon seul lien avec le public soit à travers les réseaux et non en vrai, dans une salle. J’étais surtout triste pour les gens qui semblaient dire que je leur gâchais leur moment de fun télévisuel. J’ai bien essayé de changer ma façon de faire, d’être moins intense, mais ce n’est pas moi. Et je ne peux pas être quelqu’un d’autre.» Heureusement, les choses se sont calmées depuis sa grossesse, «ça m’a donné un capital sympathie»! Ses détracteurs se taisent, ceux qui l’aiment le lui disent. «Je suis accro aux compliments. Récemment, on m’a dit que j’avais l’air saine! Que je semblais faire mon métier pour les bonnes raisons. Ça et le fait que je suis la même sur scène et dans la vie, c’est pas mal le top des compliments.»
Une fidèle, ça, madame!
On aime ça, les gens loyaux. Et j’en ai un beau spécimen devant moi. «Je suis une fidèle en tout», me répond-elle quand je lui fais remarquer qu’il n’est pas commun de travailler exclusivement avec le même auteur (Charles-Alex Durand) depuis ses débuts, en 2015. [C’est à ce moment que l’entrevue est interrompue par un groupe d’amateurs de golf frisbee qui nous prévient qu’on est sur la trajectoire des frisbees. Rosalie leur répond le plus gentiment du monde qu’on va se tasser plus loin. On reprend notre discussion sur une table de pique-nique, mais je googlerai certainement «golf frisbee» plus tard.] En amitié, outre sa grande copine Katherine Levac, ses amis du secondaire sont toujours là, eux aussi. «J’avais quatre amis, dont mon meilleur ami gay. L’un était bi, l’autre autiste, la dernière avait une phobie des microbes. On était tellement bien ensemble!»
Dans Complètement lycée, la websérie offerte sur Noovo qu’elle a imaginée avec Pierre-Yves Roy-Desmarais – avec qui elle a été en couple pendant quatre ans – et qui est écrite par Charles-Alex Durand (tiens, rebonjour!) et Sandrine Viger-Beaulieu, elle est Allison Thompson, une ado du lycée de New Garden Hills Valley.
Cette parodie des émissions américaines surjouées et mal doublées qui foisonnaient dans les années 1980 et 1990 est franchement savoureuse. D’ailleurs, Rosalie a remporté cette année un Gémeaux pour son rôle ainsi que le Prix Dior de la révélation du Festival Canneséries (oui, oui, à Cannes).
Et entre Allison et Rosalie, il n’y a qu’un pas. «J’étais pareille! Présidente de la classe, impliquée dans tout, à faire signer des pétitions proenvironnement, pour mieux intégrer les immigrants qui arrivaient à Saint-Hyacinthe. Bon, j’étais plus de gauche qu’Allison, mettons.» Pour l’engagement, rien n’a changé. Rosalie est fière porte-parole de la Fondation Sunny, qui recrute des jeunes de 5 à 17 ans ayant pour mission de consacrer du temps aux aînés. Rapprocher les gens, créer des ponts, elle en a fait son métier en fin de compte.
Quand je lui demande quel est son rêve de carrière, elle me parle d’un show, d’un gros succès qui la ferait sortir de Montréal pour lui permettre d’aller à la rencontre des autres et de voyager partout au Québec. J’arrête l’enregistreuse. Il fait chaud, c’est la dernière journée d’été avant les jours gris. Rosalie me pose des questions plus personnelles et on jase de nos vies, d’amour et de jalousie tandis que je la raccompagne chez elle. Elle ressort avec sa fille dans les bras pour me la présenter, une fierté de maman dans l’œil. Derrière elle, j'aperçois la van garée dans l’allée. Elle a mentionné plusieurs fois cet outil de liberté qui permet à la petite famille de partir «sur la go» dès que l’agenda s’aère. Pour elle, c’est la façon la plus simple et la plus vraie de voyager, en mode camping.
Je me dis qu’à l’aube de ses 30 ans, celle qui rêve d’être proche de son public pour lui parler les yeux dans les yeux doit avoir hâte de reprendre la route, histoire de vibrer un bon coup.