Les sœurs Boulay: la nuit est terminée | Clin d'œil
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Les sœurs Boulay: la nuit est terminée

Cet automne, Les sœurs Boulay tirent sur toutes les ficelles qui dépassent du grand tricot de leurs vies. Leur quatrième album, Échapper à la nuit, s’offre à nous comme un témoignage franc. Douze chansons qui brossent le portrait de deux femmes que les tempêtes n’ébranlent plus: elles ont bravé la nuit.

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Après une seule écoute d’Échapper à la nuit, ce que l’on retient, c’est la vérité. Depuis une dizaine d’années, elles nous parlent des shooters de fort qui font passer les peines d’amour, des cœurs brisés en voyage qu’on recolle avec le sable de fond de valise, de la fatigue née du nombre de décideurs qui brisent les rêves de ceux qui leur succéderont. Ces idées étaient soigneusement enveloppées dans des harmonies presque enfantines, une candeur qui masquait les détresses semées au fil des chansons. Aujourd’hui, les voiles tombent.

«Tu as tellement raison. On est rendues à la vérité toute crue», me lance Stéphanie Boulay. «On n’est plus dans les tabous, ajoute sa sœur Mélanie. C’est facile de se cacher derrière des figures de style. C’est plus difficile de donner à l’auditeur une seule interprétation possible.» Stéphanie renchérit: «Peut-être qu’après tout ce qu’on a vécu, on est juste rendues dans le no bullshit. C’est la suite de toutes ces dernières années, et pas que pour nous: le post-#metoo, l’environnement qui se dégrade, les enfants que le système échappe, les femmes qui doivent encore se battre pour tout. On se dit juste: cut the crap.» Les sœurs n’ont jamais été aussi conscientes de ce qui les dérange, et elles creusent au plus profond de tout. La vérité qui se décline sur l’album implique un entourage concret, des gens qui leur ont fait du mal et qui se retrouveront dans leurs histoires. «On ne détournera plus les messages pour faire semblant qu’on parle des autres, dit Mélanie. Faire de la musique, c’est ouvrir les valves, et on l’a fait. Comme on a fait le tri, pour décider de qui et de quoi on avait le droit ou non de parler. Et comme on dit tout haut ce qu’on a toujours dit tout bas, musicalement, on n’a jamais enrobé les propos aussi somptueusement que maintenant.»

Photo courtoisie

Témoignage quasiment écoanxieux, l’album La mort des étoiles (2019) annonçait la fin de l’espoir. «On s’est dit que si on faisait un autre album après celui-là, on n’avait pas le choix d’en trouver, de l’espoir!» explique Stéphanie. «Échapper à la nuit, c’est la phase où l’on sait que ça ne va pas bien, et on choisit quand même de regarder à l’horizon pour voir le soleil se lever», ajoute Mélanie. «On propulse la meilleure partie de nous dans le monde, élabore sa sœur. Comme si on était en train de regarder la fin du monde en se saoulant!» lance-t-elle dans un éclat de rire. Bien que les voix des sœurs se mêlent harmonieusement comme on l’a toujours entendu, une pop plus travaillée se glisse dans les arrangements et nous fait découvrir de nouvelles rythmiques. «C’est plus électronique que ça ne l’a jamais été. Ça vient de notre amour de la musique pop, et pour nous, c’était une évolution naturelle», raconte Mélanie. «Sans nos guitares, on lance un message plus brut qui nous aide à nous rapprocher du réel, complète Stéphanie. C’est une nouvelle façon d’avoir du fun et de nous impressionner nous-mêmes.»

Échapper à la nuit a été écrit en deux temps. «Pré et post-accouchement», rigole Mélanie qui a donné naissance à un deuxième garçon en cours de route. L’électropop se présente à nous de manière à envelopper le projet, notamment dans les chansons Les lumières dans le ciel et Je vais te faire danser, qui ouvre l’album. Si les trois premiers albums ont été composés principalement à la guitare, ici, c’est le piano qui a tracé les premières esquisses. «Pas sa mère est la plus hip-hop», s’amuse Stéphanie, étonnée elle-même de dire ça. «Il y a un ton saccadé, une manière de raconter qu’on a travaillée et qui rejoint les codes du hip-hop en tanguant vers la pop. C’est carrément un terrain inconnu pour nous, de chanter de même.»

Si les sœurs ont fait un tour dans le grand bateau des contrecoups liés aux dénonciations #metoo, c’est aussi parce qu’elles faisaient partie de la grande famille Dare To Care/Grosse Boîte, qui a dû se réinventer pour devenir Bravo – désormais dirigée par Béatrice Martin qui a racheté le navire qui coulait. Bien avant la transition, Les sœurs Boulay avaient choisi de partir. «Après que notre maison de disques a plongé dans l’eau bouillante, on a fait vraiment attention de ne pas mettre tout le monde dans le même panier, explique Stéphanie. Ça a jeté une ombre sur nos relations, et j’espère qu’un jour, on pourra tous se reparler. Les gens de notre label, ce sont les premiers amis qu’on a eus dans le milieu. Notre famille n’est pas proche, donc quand je pense à Grosse Boîte, j’en pleure. C’est comme si on avait perdu une relation parent-enfant. Je me tournais toujours vers eux, même pour un problème personnel. On ne serait pas là où on est sans eux, y compris les personnes qui ont des choses à se reprocher.» La chanson T’as gardé le silence révèle toutes les ramifications, complexes, de cette situation.

Photo courtoisie, Caraz

«C’est compliqué de dire qui est responsable quand personne ne parle, ajoute Mélanie. On a été coupables à un certain niveau nous aussi, parce qu’on savait des choses; mais on ne savait pas nécessairement quoi en faire. À la suite de ce qui est arrivé avec notre maison de disques, on ne pouvait pas rester silencieuses. Les dernières épreuves m’ont fait réaliser qu’il y a une différence entre qui on est et ce qu’on pense de nous. Pour ne pas rester sur notre colère, on n’avait pas le choix de changer.»

La pièce Les lumières dans le ciel symbolise leur retour et leur nouvelle énergie. C’est avec une équipe choisie à la pièce, «humain par humain», que les sœurs ont composé leur nouvel entourage. Audrey Canuel et Esther Teman, d’Hôtel Particulier, s’occupent de gérer leur carrière qui se développe dorénavant sous l’étiquette Simone Records, avec Marie-Pier Létourneau aux relations de presse. «Je me sens plus mature», précise Stéphanie, qui voit en cette nouvelle équipe un fort inébranlable où bâtir encore plusieurs années de carrière.

Photo d’archives

Si Stéphanie et Mélanie échappent ici à la nuit, ce n’est que grâce à leur force commune, une lucidité qui émane des zones sombres et qui brille plus fort que le reste.

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