Mariana Mazza, artiste multicolore
Quand j’ai appris que l’humoriste Mariana Mazza avait écrit un roman. Je suis restée perplexe. Ah bon... une autre vedette qui publie un livre, que je me suis dit. Oui, d’accord, je l’avoue, en ouvrant Montréal-Nord, j’étais pleine de préjugés. C’est portée par l’esprit rebelle de Mariana que je me permets ici cette confidence. J'étais loin de me douter que ce récit, je le lirais d’une seule traite, qu’il me ferait un bien fou et même qu’il me jetterait à terre. Ça m’apprendra à juger un livre à sa couverture.
Montréal-Nord, c’est un récit lumineux, parfois drôle, souvent touchant. C’est l’histoire de Mariana, une petite fille qu’on dit «trop sensible», issue de la classe moyenne, élevée par une mère immigrante monoparentale qui doit cumuler les emplois pour joindre les deux bouts. C’est une chronique de l’enfance qui, sans être banale, touche à l’humanité ordinaire, aux petits et grands moments qui font de nous la personne que nous sommes. Lorsque je la rencontre pour en discuter, Mariana m’explique qu’elle a d’abord voulu raconter l’histoire de sa mère à travers la sienne: «J’ai toujours banalisé un peu ma vie. Ma mère m’a éduquée du mieux qu’elle pouvait, je suis allée à l’école, ça allait bien... Mais quand je prends du recul, je me demande pourquoi je pleurais autant. J’ai toujours voulu savoir d’où je viens, j’ai toujours voulu comprendre. Je voulais partir du début, et le début, c’est ma mère.» Au sujet de son livre, elle ajoute: «Là, contrairement à un film ou à un spectacle d’humour, c’est mon histoire. Je veux que les gens sachent que tout est absolument vrai! Je n’invente aucun détail.»
Je sais – pour avoir fréquenté ses chroniques littéraires – que Mariana adore les livres, qu’elle est une lectrice vorace et passionnée. Qu’est-ce qui a guidé sa démarche d’autrice? «Je me suis rendu compte que les histoires humaines n’intéressent plus les humains. Ce qui intéresse les gens, c’est le sensationnalisme. Pourtant, ce sont les films les plus simples, les histoires les plus douces qui me touchent souvent le plus. C’est très paradoxal, parce que je suis tellement “rocambolesque”, tellement intense comme personne! Les gens ne pensent pas qu’il y a ce côté très simple en moi. J’aime beaucoup la simplicité.»
Pour Mariana, l’idée d’écrire sur son enfance est née à la suite d’une grosse prise de conscience. «J’étais en voyage lorsque je me suis souvenue d’une fille du secondaire avec qui je n’avais pas été gentille. Une fille qui, à cause de moi je pense bien, a été obligée de changer d’école. Ça m’a tellement troublée! Je lui ai écrit une lettre pour m’excuser. Et là, j’ai commencé à réfléchir. À qui d’autre est-ce que je voudrais m’adresser? Qu’est-ce que j’ai fait de mal? Qu’est-ce que je voudrais dire à ma mère? Et oups! Ça s’est transformé, ça a glissé, j’ai commencé à revisiter des moments de ma jeunesse.» Elle m’explique que le déclic, l’envie de publier un roman, est arrivé des années plus tard. «C’est en lisant Là où je me terre, de Caroline Dawson, que j’ai senti l’urgence d’écrire mon livre. C’est ma révélation littéraire! C’est accessible et intelligent, c’est écrit pour le monde, pour les bonnes raisons, pas juste pour dire: “Eille! Regarde les beaux mots!” Moi, les livres écrits juste pour les belles phrases, ça m’énerve!»
Un lien mère-fille à toute épreuve
Une des choses qui m’a le plus touchée dans l’histoire de Mariana, c’est l’amour et la tendresse avec lesquels elle raconte sa mère. Une femme qui, on le découvre au fil du récit, a dû traverser des épreuves bouleversantes. «Des gens qui ont des histoires comme celle de ma mère, il y en a 1000 autour de nous. On n’est pas assez curieux, on ne leur pose pas de questions. Et eux, ils préfèrent se taire, parce que c’est trop douloureux. Mais ce qu’on ne réalise pas, c’est que si on n’en parle pas, on laisse quelque chose pourrir à l’intérieur.» D’ailleurs, elle parle de son processus d’écriture comme d’une thérapie: «J’ai appelé ma mère pour évoquer avec elle des moments que je voulais mettre dans mon livre. Je lui rappelais des souvenirs. Elle aussi, ça l’a aidée à se rappeler d’où elle vient. Ma mère n’est plus une étran- gère pour moi. Combien de personnes grandissent dans des familles pleines de secrets bien cachés? Combien connaissent plus le voisin que leurs propres parents?»
Malgré tout le dévouement dont a fait preuve la mère de Mariana pour élever seule ses deux enfants, celle qu’on découvre dans le roman échappe au cliché de la maman parfaite. Mariana met en scène une femme tout en nuances, avec de grandes qualités, mais aussi des limites et des défauts. «On a tous le droit à l’erreur! Ma mère n’a pas toujours été cool avec moi, elle n’a pas toujours eu les outils qu’il fallait. Je ne sais même pas si elle a déjà eu une boîte à outils! Elle les mettait dans ses poches. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une boîte à outils et une société qui lui permette de les utiliser.» Curieuse, je lui demande comment sa mère réagit au fait que son histoire soit mise en mots. «Elle m’a dit qu’il y a des choses qu’elle ne voulait pas que je raconte. J’ai essayé de respecter ses valeurs dans tout ça. Elle n’a pas encore lu le livre, mais je sais qu’elle va être contente. Ça va peut-être même la faire réfléchir. Il y a du monde qui va l’arrêter dans la rue pour lui dire qu’elle est forte. Et je sais qu’elle n’aime pas se faire dire ça. Malgré tout ce qu’elle a vécu, elle ne s’est jamais vue comme une victime.»
J’avais hâte d’aborder avec Mariana un passage de son récit que j’ai trouvé très parlant, celui où elle doit porter une robe trop rose et trop petite pour sa première communion. «C’est le premier paragraphe que j’ai écrit! Mon enfance, c’est ce paragraphe-là!» Au sujet de cette journée, elle ajoute: «Je ne voulais pas mettre de robe, je ne voulais pas de fleurs dans les cheveux, je ne voulais pas qu’on me maquille. Moi, je voulais y aller en t-shirt de soccer! Et là, avec cette robe sur le dos, tout le monde s’est mis à me dire que j’étais belle, alors que le reste de l’année, personne ne me faisait de compliments. Les gens ont choisi un moment où j’étais malheureuse pour me dire que j’étais belle. J’ai donc tranquillement commencé à me rebeller, à me dire: “Non, ce qu’on va me dire de faire, je le ferai pas.” J’étais aimée pour quelque chose que je n’étais pas, c’était fâchant! Ça a commencé très jeune, cette espèce de frustration, cette révolte en moi.» Je lui demande comment sa vision de son corps a évolué depuis l’enfance, comment elle est devenue la femme assumée et féminine qui s’affiche en couverture de magazines. «Je n’ai jamais été particulièrement fière de mon corps, même si on m’a beaucoup collé l’étiquette de l’acceptation corporelle. J’ai toujours fait avec ce que j’avais. Mon corps, c’est les autres qui en font un cas, pas moi. C’est ma mère qui en a fait un cas. J’ai toujours été bien dans ma peau jusqu’à ce qu’on me rappelle que ce n’était pas une bonne chose. Ultimement, les complexes qu’on a viennent du mal-être des autres. Sur Instagram, j’ai mis une photo de moi toute nue, en croisière. Les gens m’ont écrit pour me dire que j’étais courageuse. Courageuse de quoi? C’est encore le reflet du fait que le problème des autres devrait devenir mon problème. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, je ne lis plus rien. Les gens qui perdent leur temps à m’insulter, je m’en câlice.»
Quand je lui demande comment elle fait pour vivre comme ça, sans concessions, Mariana me parle de la conscience aiguë qu’elle a du temps qui passe, de la finitude des choses. «On va mourir un jour, le temps est trop précieux. Sois ce que t’as envie d’être! En étant ce que je suis, le monde a fini par m’accepter et par se dire: “Voyons, cette fille-là fait ce qu’elle veut! C’est donc ben malade, comment est-ce qu’elle fait?” Je ne me suis jamais posé de questions. Faudrait apprendre aux gens à avoir confiance en eux!»
Autrice à part entière
Pour Mariana, écrire est un processus sérieux et rigoureux. «Avec le temps, je me suis demandé ce que j’avais envie de dire aux gens, pas juste ce que je suis à leurs yeux. Mon but n’a jamais été d’être connue. Je voulais simplement parler au monde. J’aime parler! Et l’humour, la peinture, l’écriture, pour moi, ce sont différentes façons d’entrer en contact avec les gens. De rejoindre différents humains, qui sont tous valables. Mon histoire, je n’aurais pas pu la raconter autrement que dans un livre. Écrire, c’est une manière de faire réfléchir sans imposer ses idées.» Elle me confie ne pas avoir voulu miser sur sa célébrité pour obtenir de passe-droit. «Je fais les choses, parce que j’aime ça. Écrire un livre, personne ne m’a demandé de le faire! Moi, je vais de l’avant. Je suis passionnée. Je veux que les gens m’engagent pour ma passion, pour mon dévouement. Pas parce que j’ai un nom et que je suis connue. Ça, ça me pue au nez.» D’ailleurs, Mariana a insisté pour suivre le processus habituel de publication d’un roman. Elle a soumis une première version de son manuscrit à un éditeur, puis elle a travaillé et retravaillé son texte pendant un an. Ça me fait penser à une phrase de son livre: «Ma mère n’a jamais attendu que la vie lui fasse une passe sur la palette.» On peut dire que Mariana fait pareil. «Pendant longtemps, je me suis demandé si j’allais écrire. Est-ce que les gens vont commencer à dire: “Ouin, elle se prend pour qui?” Mais j’ai pris du recul et je me suis dit: “Eille! Si je dois attendre que quelqu’un s’intéresse à moi, je vais attendre longtemps.”»
Mariana, qu’on connaît pour sa fougue et sa force, ne cache pas qu’elle est terrorisée à l’aube de la publication de son premier roman. «En toute humilité, je pense avoir écrit un bon livre. Je me mets beaucoup de pression; je suis tellement une maniaque de lecture, j’en parle tellement que le monde a des attentes! Est-ce que mon roman va les combler? Ça me fait peur, mais ça me rend heureuse de voir que je ne suis pas au-dessus de ça. Il faut que ce soit un risque! Sinon, je ne serais pas satisfaite.» L’autrice de 32 ans dit avoir déjà tout en main pour commencer l'écriture de son deuxième roman, mais avoue vouloir attendre les retombées du premier avant de se lancer. «Ce qui serait étrange, c’est que ce soit mon projet le plus intime et le plus sensible à ce jour, mais que ce soit aussi celui qui remporte le moins de succès. Ça me démolirait de voir des critiques littéraires ou des gens que je respecte ne pas s’intéresser à mon livre parce que je suis Mariana Mazza.» Quand je l’interroge sur ce qu’elle aurait envie d’écrire à l’avenir, elle répond: «Mon ambition, c’est de faire trois livres. Sur l’enfance, l’adolescence et la vie adulte. Trois périodes totalement différentes. L’enfance, c’est l’émotion, l’adolescence, l’action, et la vie adulte, la réflexion.»