Témoignages: ce que le cancer a changé dans ma vie

ll y a le choc du diagnostic, l’annonce aux proches, la mise en place du protocole de traitement et, on l’espère, la rémission.
De ce parcours jonché d’angoisses et d’espoirs, d’urgences, d’accalmies et de petits deuils, que reste-t-il après réflexion? Des femmes témoignent de ce que le cancer a changé dans leur vie, pour le meilleur et pour le pire, pour le présent et pour l’avenir.
Les relations
«J’ai toujours été une femme exigeante. Envers moi-même, d’abord, mais aussi envers les autres. Le droit à l’erreur et au repos n’existait pas dans ma vie précancer. La maladie m’a forcée à ralentir, évidemment, mais un changement s’est également opéré dans ma façon de percevoir mes proches et d’interagir avec eux. Soudainement, je trouvais bien ridicule et vain d’avoir empêché mon fils de prendre une année sabbatique après ses études collégiales pour voyager, d’exiger des résultats scolaires exceptionnels de ma fille adolescente, de pousser mon mari à courir les promotions. Toutes ces attentes, toutes ces exigences nuisaient au plaisir de nous retrouver ensemble, et j’ai réalisé que la quête de la famille parfaite m’en avait en fait éloignée. En rémission depuis quatre ans, je suis heureuse de dire que je ne suis pas retombée dans mes vieux schémas perfectionnistes, et mes proches doivent sans doute penser la même chose. Ha,ha!» - Isabelle
«J’étais du genre à annuler des rendez-vous à la dernière minute et à ne pas rappeler rapidement mes amies. Pas par manque d’amitié, probablement juste par paresse, par manque de temps. Maintenant, je m’assure d’être une amie plus présente, plus disponible. C’est dommage que ça m’ait pris un cancer pour réaliser l’importance de cultiver mes relations, mais c’est au moins un point positif que je retire de la maladie.» - Josianne
«C’est plate à dire, mais c’est dans les épreuves qu’on voit qui demeure près de nous jusqu’au bout. J’ai “perdu” des amis, mais j’ai appris à me respecter et à mieux choisir les personnes qui méritent mon temps et mon amour. Une véritable leçon de vie.» - Sylvie
«Ma sœur et moi avons toujours entretenu une certaine rivalité. Laquelle était la meilleure à l’école, laquelle était la plus belle, laquelle recevait les plus beaux cadeaux de nos parents... Je ne peux pas vraiment expliquer l’origine de cette compétition, à part peut-être un désir d’approbation de la part de nos parents, très performants. Quand je suis tombée malade, c’est pourtant Julie, ma sœur rivale, qui a été mon pilier, mon accompagnatrice, ma confidente, l’épaule sur laquelle je pouvais pleurer quand les nouvelles n’étaient pas bonnes. Alors que nos parents vivaient une forme de déni de mon état.» - Elizabeth
Le rapport au temps
«Ça va sonner très cliché et simpliste, mais la maladie m’a fait prendre conscience, de manière brutale, que je n’étais pas éternelle. Il y a une grosse différence entre le savoir de façon théorique et affronter l’éventualité de sa propre mort, l’éprouver de façon concrète. J’essaie de profiter au maximum du temps présent, de me ramener ici et maintenant quand je me projette dans l’avenir. Ce n’est pas toujours facile, on est tellement habitués à planifier, à prévoir...» - Dominique
«J’ai reçu un diagnostic de cancer à 23 ans. À cette époque, j’étais jeune et, comme la plupart de mes amies, j’avais la tête pleine de projets: finir ma maîtrise, emménager dans un condo avec mon chum, devenir enseignante au cégep, me concentrer sur ma carrière pendant cinq ans avant d’avoir un bébé, vendre le condo pour acheter une maison, etc. C’était un vrai plan quinquennal, mon affaire! J’avais tellement peur de “rater ma vie” si je dérogeais à mon calendrier idéal... Tout ça me semble aujourd’hui très superficiel. Réussir ma vie, c’est avant tout avoir réussi à survivre et à continuer de vivre. Le reste, je l’accueille au fur et à mesure, quand il arrive.» - Maria
La spiritualité et la quête de sens
«J’ai été élevée dans la foi catholique, mais je n’ai jamais pratiqué ni accordé une grande place à la religion dans ma vie. On pourrait dire que j’étais agnostique, même si je ne me suis jamais réclamée de cette doctrine. Je n’ai pas vécu de conversion religieuse à la suite de mon cancer du sein et de ma rémission, ni même de ce que certains nomment “un appel”, mais je ne vois plus la vie comme un fil tendu de la naissance à la mort. Je suis plus ouverte à l’idée de transcendance ou, comme le dirait Marjo, “je suis plus sensible à l’invisible”.» - Sandra
«Quand j’ai appris que j’étais en rémission, passé le soulagement évident, je me suis sentie désorientée. Je venais de passer deux ans à combattre le cancer. Toute ma vie était organisée autour de ça, fixée sur l’objectif de guérison. Là, je me retrouvais face à moi-même. Est-ce que je voulais vraiment retourner au travail, dans ma grosse job en communication, payante, mais peu “nourrissante” sur le plan humain? Il fallait que je donne un sens à tout ça, que je me redéfinisse. J’ai lu des livres, écouté des balados, j’ai consulté une psy, une travailleuse sociale, un orienteur, name it! Finalement, j’ai fait le saut. J’ai quitté mon emploi dans une grosse entreprise pour passer au communautaire. Oui, j’ai sacrifié une bonne partie de ma paie, mais j’y ai gagné le sens que je cherchais, et ça, c’est inestimable!» - Valérie
Le rapport au corps et à l’intimité
«J’étais très sportive, voire trop, et je faisais extrêmement attention à ce que je mangeais. En fait, on pourrait dire que je frôlais l’orthorexie. J’en ai beaucoup voulu à ce cancer, que je ne m’expliquais pas. Pourquoi moi, alors que tant de personnes maltraitent leur corps? Ce cancer, vécu d’abord comme une cruelle injustice, m’a cependant forcée à prendre conscience de mon rapport un peu malsain à ce corps que je pensais chérir, alors que je le poussais dans les extrêmes, dans une espèce de dynamique de contrôle et de dépendance. On ne se mentira pas, je n’ai pas changé mes habitudes du jour au lendemain, mais le cancer m’a appris à me montrer bienveillante à l’égard de ma “machine”, à l’écouter davantage.» - Sophia
«Quand on m’a diagnostiqué un cancer du sein à 31 ans, j’ai tout de suite envisagé la double mastectomie. Il faut dire que ma mère et ma grande sœur étaient décédées de récidives de cette maladie, à 15 ans d’intervalle. Mon choix me semblait donc être le plus rationnel, et je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que ça pouvait changer dans ma vision de mon propre corps. C’est au cours des mois qui ont suivi l’intervention que j’ai accusé le coup: j’étais en deuil de ma féminité, ou du moins d’une certaine vision de la féminité. Magasiner des robes et des maillots de bain était devenu une véritable torture. Je pleurais dans les salles d’essayage, et je finissais invariablement par ressortir des boutiques les mains vides. Je ne me montrais plus nue devant mon conjoint, et je refusais ses avances la plupart du temps. J’avais l’impression d’avoir sacrifié ma désirabilité au profit de ma santé, et j’en ressentais beaucoup de colère. Grâce à la thérapie, suggérée par une amie que je ne remercierai jamais assez, j’ai pu faire le deuil de mes seins et accepter le fait que ma féminité et ma désirabilité étaient toujours bien présentes, reconnaître qu’il me fallait simplement du temps pour apprivoiser ce nouveau corps.» - Marie-Hélène
«Je suis en couple depuis 22 ans avec mon chum du secondaire. Malgré tout notre amour, notre complicité incroyable et nos projets communs, une certaine routine s’était installée dans notre vie sexuelle. On ne s’en inquiétait pas outre mesure, jusqu’à l’arrivée du cancer, en 2017. On en parle peu, ça semble tabou, mais la maladie peut vraiment avoir un impact sur la sexualité. Baisse de libido, peur d’avoir mal ou douleurs réelles, crainte de ne plus être désirable aux yeux de l’autre... Tout ça, je l’ai vécu. Mon oncologue m’a conseillé d’aller consulter un sexologue avec mon conjoint. Si le but initial était de favoriser le retour de notre sexualité, c’est finalement une tout autre intimité que nous avons découverte et développée... Et elle est bien plus satisfaisante que la vie sexuelle que nous avions avant le tsunami des traitements.» - Geneviève
«J’ai eu un cancer de l’utérus à 31 ans, un an après avoir eu mon premier enfant, alors que je me disais que c’était le moment parfait pour retomber enceinte. Malgré ce “dos d’âne” sur le chemin, j’avais encore du temps. Sauf que... récidive quatre ans plus tard, avec hystérectomie totale en prime. J’ai été très en colère de devoir faire une croix sur cette deuxième maternité, en plus de vivre une ménopause précoce qui a chamboulé mon corps et mon humeur. Ça m’a pris beaucoup de temps à accepter tout ça, mais j’y suis parvenue, et j’accompagne maintenant bénévolement des femmes qui partagent cette réalité.» - Lucie
Quand il y a récidive
«À l’âge de 32 ans, trois jours avant mon mariage, j’ai reçu un premier diagnostic de cancer du sein. Dans la trentaine, tu te sens invincible, tu ne penses pas que la maladie va te frapper. En passant, je regrette vraiment de ne pas m’être mieux assurée à l’époque, parce qu’aujourd’hui, mon hypothèque serait payée! Alors que je faisais mon autoexamen des seins, j’ai découvert une bosse. Je précise que je pratique l’autoexamen des seins depuis longtemps, grâce à la belle Geneviève Borne. Elle expliquait comment le faire dans un article du Clin d’œil et ça m’a marquée. Aujourd’hui, j’ai une page Facebook (On se touche à soir) qui encourage les femmes à faire le leur à chaque pleine lune. De façon plus personnelle, la maladie m’a amenée à porter un regard différent sur mon mode de vie. Oui, j’ai suivi les protocoles médicaux habituels, mais j’ai voulu saisir la chance de prendre soin de moi et d’essayer de nouvelles choses. De me départir des mauvaises choses, aussi. J’ai essayé le yoga (offert par la Fondation québécoise du cancer), grâce auquel j’ai appris à respirer; j’ai amélioré mon alimentation, travaillé sur ma gestion du stress, pris plus de temps pour moi, appris à mieux gérer les heures au boulot, le tout en étant accompagnée par une travailleuse sociale du Centre des maladies du sein. L’équilibre est important, mais pas simple à trouver ou à garder... J’ai maintenant 41 ans. Depuis janvier 2020, je vis avec une récidive. Eh oui, un cancer du sein métastatique de stade 4... Ç’a été un choc de découvrir que ce que je croyais être une pneumonie était le cancer qui était revenu se loger dans mon poumon, six ans plus tard. Je n’avais aucune idée qu’une récidive pouvait toucher le poumon, le foie, les os ou le cerveau. Est-ce que je faisais l’autruche? J’ai l’impression qu’on n’en parle pas... ou qu’on ne veut pas le savoir. Bref, je continuais à faire mon autoexamen des seins et je me pensais à l’abri. Aujourd’hui, je saisis pleinement chaque belle et bonne journée que la vie met sur mon chemin. Je profite du temps passé avec les personnes que j’aime et qui m’aiment. Je m’entoure de positif, j’éloigne le négatif de ma vie, et quand c’est une moins bonne journée... je me dis qu’elle va passer. Prenez soin de vous.» - Marie-Claude
Et pour les proches?
Ma mère est décédée d’une récidive du cancer en décembre 2021. Elle avait reçu un premier diagnostic de cancer l’année de mes 18 ans. Dans ma tête de préadulte, je devais rester forte pour mon père et ma sœur cadette. Cette “mission” a fait en sorte que j’ai blindé mon cœur et enfoui ma peine. J’ai malheureusement conservé ce mécanisme de défense, jusqu’à ce que je n’en puisse plus de bloquer mes émotions, et que dépression et anxiété deviennent “mes partenaires de vie”. C’est avec incrédulité que j’ai appris la récidive du cancer de ma mère en 2019. C’était le même type de cancer du poumon qui aurait pu l’emporter 28 ans plus tôt. Elle avait aussi un cancer du sein. J’ai sincèrement cru qu’elle
allait à nouveau faire un pied de nez à la mort et faire mentir les pronostics. Malheureusement, son état s’est beaucoup détérioré, et nous nous sommes relayés, mon père, ma sœur et moi, pour prendre soin d’elle et veiller à ce qu’elle ne soit jamais seule. C’est au cours de ces visites que la paix s’est enfin installée en moi. Cette dernière année remplie d’amour entre nous est sans doute le plus beau cadeau de la maladie. Nous savions qu’au seuil de la mort, c’est la seule chose qui nous restait. Oubliées, les attentes que nous avions eues l’une envers l’autre. Oubliés, les chicanes, les désaccords et les reproches: tout s’est envolé. Ne me reste que la gratitude d’avoir eu une mère comme elle. C’est cette sérénité des derniers instants qui me permet d’être là pour le reste de ma famille aujourd’hui. Pas en tant que pilier, comme je l’avais prévu lors du premier cancer, mais en tant que personne aimante et à l’écoute, qui accepte enfin sa vulnérabilité. Son départ m’a fait réaliser à quel point l’amour, la patience et les liens que nous bâtissons sont les choses les plus importantes de notre vie.» - Éloïse
«Le cancer de Sasha aurait pu nous séparer, mais il nous a plutôt réconciliées et ressoudées, à une période où notre couple battait de l’aile. Ma blonde avait besoin de moi, et je ne pouvais plus faire semblant de l’ignorer. C’est cet épisode difficile de notre vie qui nous a poussées à aller chercher de l’aide, à voir un thérapeute de couple. Ça m’a aussi encouragée à consulter seule de mon côté. Le cancer est derrière nous, et nous, comme femmes et comme couple, nous regardons droit devant.» - Myriam