Au-delà de la mort: tout sur les expériences de mort imminente (EMI)

Que se passe-t-il une fois qu’on meurt? Les expériences de mort imminente (EMI) pourraient apporter la réponse à cette question qui fascine l’humanité, consciente depuis toujours de sa fragilité. On fait le point sur les pistes et les explications plausibles de ce phénomène hors norme.
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En 2017, Colette Aussedat se rend à l’hôpital pour se faire poser un stent au cœur. Mais l’intervention de routine, pratiquée sous anesthésie locale et destinée à débloquer une artère, ne se passe pas comme prévu. Colette se sent partir avant de faire un arrêt cardiaque. «La première chose dont je me souviens — et c’est très vif dans ma mémoire — est de sentir la présence de mes trois filles, raconte-t-elle. C’était comme une étreinte d’amour, une impression océanique de tendresse. Et puis, plus rien. Je me suis retrouvée dans un grand espace brun clair d’un calme absolu. C’était une sorte de pièce spacieuse, ouverte devant moi, depuis laquelle j’aurais pu circuler pour en sortir ou aller plus loin. Je me suis vue dans ce lieu, et j’ai pensé très clairement: “Ah bon, c’est comme ça...” Je savais que j’étais en train de mourir; c’était une évidence. J’avais l’impression de me détacher. J’étais toute seule, sans angoisse. C’était extrêmement serein.» La Française — dont le cœur s’est arrêté pendant 10 secondes — a mis quelque temps à comprendre ce qu’elle avait vécu, une fois de retour à la réalité.
Une expérience subjective
Colette est loin d’être la seule à avoir connu ce type d’expérience, que les scientifiques appellent «mort imminente». Des milliers de témoignages — plus ou moins crédibles — abondent sur Internet. «On peut définir l’EMI comme une expérience subjective que l’individu vit quand il est proche de la mort, explique la Dre Charlotte Martial. L’une des particularités est que cette expérience contient des dimensions prototypiques récurrentes: chaque fois, ou presque, il y a les mêmes [éléments] qui reviennent, comme l’expérience de décorporation [l’impression de sortir de son corps], la vision d’un tunnel ou d’une lumière, ou encore la rencontre avec une entité, qui peut aussi bien être un être de lumière qu’un visage, la présence d’une ou de personnes, vivantes ou mortes, qu’on reconnaisse ou pas.» Cette neuropsychologue gère les études portant sur les EMI au Coma Science Group (GIGA-Consciousness), un groupe de recherche international spécialisé dans les troubles de la conscience et autres états de conscience modifiés associé à l’Université de Liège, en Belgique. Dans le cadre de son travail, elle récolte notamment les témoignages de personnes ayant vécu une EMI, grâce à un formulaire standardisé d’une vingtaine de questions.
Parmi celles-ci, on trouve: «Vous avez eu un sentiment de paix et/ou de bien-être», «Vous avez eu la sensation de quitter le monde terrestre ou d’intégrer une nouvelle dimension et/ou un nouvel environnement» ou encore «Vous avez eu l’impression de soudainement tout comprendre sur vous-même, les autres et/ou l’univers». Mis au point il y a un peu plus d’un an, ce protocole est basé sur l’échelle de Greyson, développée en 1983 par le professeur de psychiatrie Bruce Greyson, pionnier de la recherche sur les EMI. «Si le sujet a vécu une expérience suffisamment riche avec des dimensions prototypiques aux expériences de mort imminente, on considère alors que c’est bien une EMI, dit la Dre Charlotte Martial. Cependant, cet outil a des limites. Comme n’importe quel chercheur qui va travailler sur des expériences subjectives, je ne pourrais pas garantir à 100% la véracité de ce que la personne affirme.»
Une interprétation personnelle
En novembre 2008, le Dr Eben Alexander III tombe dans un coma profond à la suite d’une méningite bactérienne aiguë qui attaque son cerveau. Alors que ses médecins lui donnent peu de chances de survie, celui qui a été professeur associé en neurochirurgie à la faculté de médecine de l’Université Harvard se réveille une semaine plus tard, persuadé d’avoir passé ce temps au paradis, lieu qu’il n’associe à aucune religion. Ses souvenirs sont très clairs et, selon lui, bien réels.
Il se rappelle une lumière blanche l’attirant dans une vallée luxuriante et pleine de vie, sans aucun signe de mort ou de décomposition, où des milliers d’êtres dansaient au son de chœurs angéliques. «Des millions de papillons tournaient en de vastes formations de couleurs pures, au-delà de celles de l’arc-en-ciel, et, à côté de moi [sur un papillon] se trouvait mon guide spirituel, une belle jeune femme aux yeux bleus étincelants, aux cheveux bruns et aux pommettes hautes, qui arborait un magnifique sourire.» Depuis cette vallée luxuriante, Eben Alexander III a été emmené vers d’autres royaumes qui, selon lui, lui ont permis de comprendre l’existence d’un Dieu (une «source centrale de la conscience»), de saisir le sens de la vie — «basé sur les principes de l’amour, de la miséricorde, de la bonté et de la compassion» — et de comprendre la réalité de la réincarnation («différente de celle du bouddhisme»).
Interviewé par visioconférence, il débite son récit d’une traite, comme une machine bien rodée. Il faut dire que, depuis son EMI, le médecin, qui ne pratique plus et qui s’intéresse désormais à la nature de la conscience, consacre son temps à relater son histoire. Après être passé par les plateaux d’Oprah et du Dr. Oz, il anime des conférences dans le monde entier et est l’auteur de plusieurs livres à succès (son premier, La preuve du paradis – Voyage d’un neurochirurgien dans l’après-vie..., sorti en 2012, a été traduit dans 40 langues et s’est vendu à deux millions d’exemplaires). «Revenir» de la mort — ou, dans le cas d’Eben Alexander III, d’un coma — peut être une affaire lucrative.
«Chaque personne ayant vécu une expérience de mort imminente l’interprète de façon personnelle, en étant influencée par ses propres souvenirs, par ses connaissances et ses attentes du monde, de même que par ce qu’elle connaît des EMI», dit la Dre Charlotte Martial. Dans cette optique, elle et son équipe cherchent à comprendre l’importance qu’ont la culture et la religion sur les EMI, en récoltant des témoignages provenant de partout dans le monde. «Aujourd’hui, la recherche se fait principalement en Europe et en Amérique du Nord», déplore la neuropsychologue, qui souligne tout de même quelques papiers montrant qu’en Inde, les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente ont tendance à parler d’une rivière à traverser, alors qu’en Occident, on décrit plutôt un tunnel.
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Les mystères du cerveau
Il n’est pas nécessaire de frôler la mort pour vivre une EMI. Certaines personnes en ont fait l’expérience pendant une syncope, une forte fièvre ou de fortes émotions, en pleine méditation... ou sous l’effet de drogues! La prise de DMT (un puissant hallucinogène) entraînerait une expérience similaire à une EMI, d’après une étude réalisée par l’Imperial College London, en partenariat avec l’Université de Liège. De même, une autre étude réalisée par ce dernier établissement, en collaboration avec le Dr Enzo Tagliazucchi de l’Université de Buenos Aires, a également montré des similarités entre l’expérience de mort imminente et la prise d’hallucinogènes. «On a comparé les récits écrits d’expériences subjectives induites par 165 substances avec les récits des EMI, explique la Dre Charlotte Martial. La kétamine, la salvia, la DMT et la psilocybine, notamment, ont entraîné des expériences subjectives fortement similaires à une EMI. On peut donc supposer qu’il existerait une substance endogène chez l’être humain, qui pourrait s’activer lorsque celui-ci est proche de la mort.»
Cela pourrait-il expliquer la riche expérience d’Eben Alexander III? Le conférencier affirme au contraire que son système nerveux ne montrait presque aucune activité et que, par conséquent, il aurait été impossible, selon lui, que son expérience soit une hallucination créée de toutes pièces par son cerveau malade. Cependant, il n’était pas dans un état de mort cérébrale irréversible: son cerveau a continué de fonctionner lorsqu’il était dans le coma, comme c’est d’ailleurs le cas de toutes les personnes ayant vécu une EMI. Celles qui sont décédées pendant quelques secondes ou quelques minutes avant de revenir à la vie étaient de fait dans une situation de mort clinique (soit la cessation de la respiration et du cœur), qui est réversible.
Même si Eben Alexander III est persuadé d’avoir été au paradis, la Dre Charlotte Martial préfère garder les deux pieds sur terre en avançant l’hypothèse selon laquelle l’EMI serait plutôt un mécanisme de défense du cerveau, capable de créer, chez 85% des patients, une autre réalité, positive celle-là et bien plus sereine que celle dans laquelle il se trouve réellement, que ce soit un arrêt cardiaque ou un coma. Mais qu’en est-il des 15% de cas qui restent? Tout comme un bad trip vécu sous l’effet de la prise d’hallucinogènes, l’expérience de mort imminente vire parfois au cauchemar. Certaines personnes évoquent notamment l’apparition de monstres, dans une situation qu’on pourrait qualifier d’infernale. «On est encore loin de comprendre ce qu’il se passe lorsqu’on décède, rappelle la Dre Charlotte Martial. La conscience reste un grand mystère, tout comme la mort.»
Pour Colette Aussedat, et bien d’autres personnes ayant vécu une EMI, la fin n’est pas — ou n’est plus — une source d’angoisse. «C’était un moment magnifique, et ça ne me dérangerait pas de partir de cette façon», indique-t-elle. Ne serait-il pas en effet rassurant de vivre une expérience positive, d’une sérénité absolue, quand viendra notre heure?