Le vibro sans tabou: la petite histoire du sex toy
Du rouleau de papyrus bourdonnant de Cléopâtre au vibrateur à vapeur de l’époque victorienne, le sex toy se met à nu.
Dans un épisode de Sex and the City, Charlotte préfère passer la soirée avec son Rabbit plutôt que de rejoindre ses amies. Il ne s’agit pas d’un animal de compagnie, mais de son nouveau jouet sexuel qui lui garantit de prendre son pied sans avoir à lever le petit doigt. Aujourd’hui, l’histoire fait sourire, mais à l’époque, aborder ce sujet était assez révolutionnaire. Le vibromasseur – encore tabou – n’osait pas s’aventurer hors de la chambre à coucher. Créé en 1983 par l’entreprise américaine Vibratex, soit 15 ans avant que Charlotte n’en découvre les bienfaits, le Rabbit connaît un engouement sans précédent dès la diffusion de l’épisode!
Les rudiments du plaisir
Les femmes n’ont évidemment pas attendu Sex and the City pour prendre leur plaisir en main. Dans l’Antiquité, Cléopâtre réclamait, paraît-il, qu’on remplisse d’abeilles un rouleau de papyrus, afin de pouvoir profiter des joies de leurs bourdonnements en solitaire. L’anecdote relève sans doute davantage de la légende que du fait historique (dommage!), mais il reste que les femmes ont toujours fait preuve d’ingéniosité pour atteindre l’orgasme en toute intimité. Dans The Botany of Desire: A Plant’s-Eye View of the World, l’auteur et journaliste Michael Pollan avance même l’idée selon laquelle les «sorcières» du Moyen Âge recouraient bel et bien à un balai pour planer... jusqu’au septième ciel! Le manche était enduit d’une pommade hallucinogène, facilement absorbée par les muqueuses du vagin. La preuve? Le procès pour sorcellerie, en 1324, de Lady Alice Kyteler, au cours duquel sa servante a avoué avoir appliqué un onguent sur un morceau de bois pour pouvoir «voler». Si la première a réussi à s’échapper, la seconde a été directement envoyée au bûcher!
The Witches par Hans Baldung, 1508
Sex toys: de l’hystérie au tabou
Retour dans l’Antiquité. Le médecin Hippocrate y décrivait alors l’hystérie (du grec hustera, qui désigne la «matrice» ou l’utérus) comme étant une maladie typiquement féminine liée à cet organe qu’on croyait capable de se déplacer dans le corps en provoquant toutes sortes de maux. Le remède? Le mariage, permettant de satisfaire cet «animal qui désire ardemment engendrer des enfants», selon Platon... et les massages pelviens, qui servaient à calmer ses ardeurs!
Plus de 2000 ans plus tard, les mentalités n’ont quasiment pas changé: au XIXe siècle, l’hystérie était considérée comme le «mal du siècle» tant elle touchait une part considérable de la population féminine. Les causes variaient selon les spécialistes, qui y voyaient la preuve d’une frustration sexuelle ou d’un désordre des ovaires – quand on ne mettait pas carrément la faute sur le fait d’éduquer les femmes, sexe faible au cerveau chétif. Pour soigner leurs symptômes – bouffées de chaleur, anxiété chronique ou irritabilité –, les femmes rendaient régulièrement visite à leur médecin. Ces derniers leur prescrivaient des cures thermales et des douches pelviennes. Certains s’adonnaient même au «pénétrationnisme», un grand mot pour décrire les attouchements vaginaux qui permettaient aux patientes d’atteindre l’orgasme (ou «paroxysme»)... et de calmer leur soi-disant hystérie. À l’ère où la masturbation était considérée comme un vice, ces massages sous gouverne médicale étaient un commerce hautement lucratif. Mais les mains savantes ont fini par se fatiguer et il a fallu trouver d’autres solutions... Vers 1867, on a créé une table ayant une balle vibrante en son centre, qui fonctionnait avec un mécanisme à vapeur, avant que le Dr Mortimer Granville n’invente officiellement le premier vibromasseur électrique, au début des années 1880... destiné aux hommes et à être employé sur diverses parties du corps, afin de soigner leur surdité ou leur problème de dos. Heureusement, l’arrivée de l’électricité dans les foyers, deux décennies plus tard, a permis de populariser l’objet. Car si les publicités et les magazines féminins vantaient les mérites de ces nouveaux appareils, capables de soigner la tuberculose ou de rendre à la peau sa jeunesse, personne n’était dupe, surtout lorsque ces godemichés – qui ressemblaient à de petits électroménagers – se sont invités dans les films pornos des années 1920, leur conférant ainsi une réputation sulfureuse qui a tôt fait d’entraîner leur disparition des rayons grand public.
Il a finalement fallu attendre la révolution sexuelle des années 1960 pour que les féministes brandissent leurs sex toys et que nos joujoux sexuels sortent peu à peu de l’ombre. On les retrouvera plus tard, notamment dans Sex and the City ou dans Fifty Shades of Grey (à la sortie du livre, le nombre d’accidents liés à des vibromasseurs, aux États-Unis, a connu une hausse considérable). La bonne nouvelle? Si, autrefois, le phallus XL régnait en maître dans les rayons des boutiques érotiques, il existe aujourd’hui de nombreux modèles design, créés pour le plaisir de tous, afin de satisfaire toutes les envies et tous les fantasmes.