Pas en mon nom: apostasier pour exercer sa liberté de conscience
En juillet dernier, à 39 ans et après une vingtaine d’années à jongler avec l’idée, j’ai finalement entamé les déarches d’abandon officiel d’une foi que je n’ai jamais eue: j’ai envoyé au diocèse de Montréal ma demande d’apostasie catholique. Même si je n’ai rien contre la foi en général, il fallait que je me dissocie de l’institution religieuse.

J’ai été baptisée le 21 août 1982, à l’âge de deux mois et demi, à l’église Saint-Germain d’Outremont, à Montréal. De cette journée, je n’ai aucun souvenir, sauf un album de photos et une anecdote familiale: mon grand-père paternel aurait profité de l’occasion pour affirmer que la permanente de ma marraine avait «l’air d’une mop».
Au cours des années suivantes, j’ai accepté cette foi imposée sans pour autant la pratiquer: comme bien des Québécois de leur génération, mes parents ne fréquentaient pas l’église, et je n’ai même jamais assisté à une messe de minuit. Mon implication personnelle en tant que jeune fille catholique des années 1980 consistait uniquement à suivre les cours de catéchèse à l’école et à tripper sur la texture des hosties (j’achète encore des sacs de retailles d’hosties). Il y avait certainement une part d’hypocrisie dans tout cela... Après tout, n’ai-je pas demandé à faire ma première communion, à neuf ans, dans le seul et unique but de recevoir le chapelet «glow in the dark» et de l’argent de mes proches? Ironiquement, c’est lors de la réception suivant cette première communion que j’ai annoncé avec conviction que je ne croyais pas en Dieu, à la stupéfaction des invités. Je sais vraiment comment faire lever un party!
«Je n’ai jamais compris pourquoi mes parents avaient tenu à me faire baptiser. Ils n’ont, à ma connaissance, jamais été croyants, et encore moins pratiquants! Je pense que c’est ça qui me fâche le plus: l’impression d’avoir été embrigadée dans une organisation à laquelle ils ne souscrivaient pas réellement eux-mêmes», m’explique mon amie Marie-Eve, qui a elle aussi fait sa demande d’apostasie récemment. Même histoire, même son de cloche de la part de mes amis et collègues Paul, Ariane, Lesley et Emma. Mais pourquoi sommes-nous si nombreux à avoir décidé, à l’aube de la quarantaine, d’officialiser notre retrait de l’Église catholique?
La goutte qui fait déborder le vase
Sans surprise, les demandes d’apostasie, qui demeurent marginales, sont en hausse lorsque des scandales éclaboussent l’Église, comme des révélations de crimes pédophiles. Plusieurs éprouvent alors le besoin de se dissocier d’une institution dont ils ne partagent pas les valeurs et dont ils jugent les actions.
Je n’ai personnellement jamais considéré que l’Église catholique correspondait à mes valeurs sociales et humaines. Ses positions sur la place des femmes dans la société, sur l’homosexualité et sur l’avortement, notamment, sont aux antipodes des miennes. Cependant, même si l’idée d’apostasier avait germé dans mon esprit au début des années 2000, mon appartenance forcée à cette institution ne nuisait pas activement à ma vie, et je remettais constamment le projet à plus tard. La découverte récente de centaines de tombes d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats autochtones m’a sortie de ma torpeur confortable et de ma procrastination: je devais exercer ma liberté de conscience et signifier une fois pour toutes que je n’endossais pas les actions de l’Église et que je refusais que cette dernière continue à parler en mon nom. Lesley a vécu le même déclic: «Ç’a été la goutte qui a fait déborder le vase et qui m’a poussée à agir. Bien sûr, ce n’est qu’un symbole, ça ne change rien concrètement à l’horreur de la situation, mais c’était devenu nécessaire.» Nous sommes loin d’être les seules à avoir eu ce déclic, si je me fie aux centaines de réponses sous une publication Facebook de la journaliste Émilie Nicolas à ce sujet: la triste découverte a occasionné une réflexion profonde chez les baptisés non croyants, comme Lesley, Marie-Eve et moi-même, mais également chez des personnes qui se disent chrétiennes, mais ne désirent plus être associées à l’Église comme institution.
Une procédure simple et rapide et une attente variable
Outre ma légendaire tendance à tout reporter à plus tard, j’ai également longtemps cru que la procédure pour apostasier était d’une complexité digne de la quête du laissez-passer A-39 dans Les 12 travaux d’Astérix. J’avais tort! En effet, il suffit, au Québec, d’écrire à son diocèse pour en faire la demande formelle, soit par lettre, soit en remplissant un formulaire en ligne. On doit fournir nos nom et adresse, évidemment, mais aussi les noms et prénoms des parents, la date du baptême, ainsi que la paroisse et le diocèse dans lesquels il a eu lieu. S’il est d’une facilité déconcertante, le processus peut entraîner une attente assez longue avant d’aboutir, puisque chaque diocèse traite les demandes une à une. «Arme-toi de patience, ça fait deux ans que j’attends une réponse de mon diocèse. La célébration de ma confirmation a duré huit minutes, l’Église semblait beaucoup plus pressée dans ce temps-là!» plaisante Paul.
Le formulaire que j’ai envoyé exigeait également les signatures de deux témoins. Je n’ai pas eu à chercher bien loin pour trouver deux volontaires prêts à signer: mon père... et mon parrain! L’ironie d’être appuyée dans ma démarche pour sortir de l’Église par la personne dont le rôle était de participer activement à mon éducation religieuse a un je-ne-sais-quoi de symbolique qui me plaît beaucoup. Et cela confirme que ce qui m’unit à cette personne transcende tous les sacrements...