«One hit wonder»: le succès... et la peur de la suite | Clin d'œil
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«One hit wonder»: le succès... et la peur de la suite

Il y a des mélodies qui marquent l’imaginaire collectif à l’encre indélébile. D’autres brillent un instant avant de disparaître comme un dessin à la craie par un soir de pluie. Créer une œuvre pérenne demeure l’une des quêtes ultimes du cheminement d’un artiste. Or on sait qu’il n’y a pas de formule magique pour y arriver. Peut-être existe-t-il une chose pire que de ne jamais rien écrire de bon: ne jamais rien écrire de mieux...

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via Unsplash

Dans Psychology Today, le psychologue Mike Friedman décortique le concept du one hit wonder, ou «succès sans lendemain». Pourquoi a-t-on vite fait de déprécier un succès dès sa sortie, en le rabaissant au statut de succès unique?

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Selon lui, c’est parce que nous doutons tous de nous-mêmes. Non seulement de notre capacité à réussir, mais aussi des conséquences du succès sur nous. Si nous éprouvons l’ivresse de voir nos rêves se réaliser, que se passera-t-il si tout s’arrête, à l’image des gens qui tombent amoureux mais hésitent à se lancer par peur de perdre cet amour? Selon Friedman, cette peur paralysante peut nous amener à nous comporter de manière malsaine. Un artiste cartonne? Une chanson passe en boucle à la radio? Pfff, ça ne durera pas! Sentez-vous la pointe d’envie qui flotte toujours un peu dans l’entourage de ceux qui osent?

La pression de bien (mieux) faire 

«Pour mon deuxième album, c’était monstrueux, l’angoisse, me lance Safia Nolin en guise d’introduction. Il y a tellement d’anxiété et de pression qui viennent avec. Tout le monde te le dit.» Pour Safia, en réalité, ça n’a pas tant été la conception de l’album qui a été difficile, mais la suite. «Tu enregistres ce deuxième album, reprend-elle, tu es super fière, tu as d’énormes attentes, les mêmes en fait que celles que tu avais en commençant à faire de la musique... Tu transposes tout ça sur ce nouveau disque et, au bout du compte, ça lève beaucoup moins. Ç’a été mon cas.» 

Le premier album est celui de toute la vie de l’artiste jusqu’à sa sortie! Chaque album suivant parle... des mois qui le séparent du précédent. Complexe de vivre et de ressentir assez de choses pour produire du matériel dense en si peu de temps. «J’ai beaucoup souffert de ça, parce que j’aime profondément mon deuxième album et que je tenais à ce que le monde l’aime aussi, nous confie Safia. Avec le recul, pour moi, Dans le noir (2018) est un échec total. Pas musicalement. Sur ce plan-là, il est parfait à mes yeux. Mais je n’avais pas les bonnes lunettes, et je n’avais pas ces paramètres en tête: remplir des salles, vendre des albums... Je sais aussi que si Limoilou (2015) a aussi bien marché, c’est parce que c’était la première fois que les gens m’entendaient. Et ça, ça n’existe évidemment plus ensuite.»

Le coup de pouce d’un hit 

On peut affirmer que le succès du deuxième album d’Émile Bilodeau n’a pas été aussi fort que celui du premier, qui contenait des chansons marquantes, comme J’en ai plein mon cass. Encore aujourd’hui, ses chansons les plus jouées sur Spotify sont celles de Rites de passage (2016), alors que celles de Grandeur mature (2019) arrivent bien après. «Je suis conscient que c’est grâce à certaines tounes qu’on a parlé de mon projet», admet le jeune artiste. Celui qui est déjà prêt à faire paraître ses troisième et quatrième albums dans les deux prochaines années considère qu’il est redevable envers le public québécois. «Quand tu connais un gros succès avec ton premier album, tu bénéficies de plus de moyens pour les suivants, même s’ils fonctionnent moins bien. Il est essentiel que ça marche au moins une fois pour pouvoir ensuite créer des affaires qui te plaisent artistiquement, sans barrières logistiques. J’ai pu “booker” deux studios en six mois pendant la pandémie, et ça, je le dois au public.»

Un succès sans lendemain sous-entend qu’aucune autre chanson de son créateur ne devient populaire. Au Québec, on peut penser à Feu de paille, d’Annie Major-Matte (2003), Et Cetera, de Gabrielle Destroismaisons (2000), Ça va bien, de Kathleen (1993) ou Vivre dans la nuit, de Nuance (1986). «Je vis de ma musique en me disant que si les gens payent 30 $ pour entendre J’en ai plein mon cass en show, je vais la chanter jusqu’à la fin de ma vie, raconte Émile Bilodeau. Le public veut aussi entendre nos nouveautés, mais se donner les moyens d’avoir une longue carrière passe par le plaisir du public.»

Un succès à deux vitesses 

Le succès peut surgir d’un coup, comme il peut grandir avec le temps. C’est le cas de Klô Pelgag, qui a fait paraître son troisième album, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, il y a un peu plus d’un an. Si elle remplit facilement ses salles, elle met difficilement le doigt sur un moment, un album ou une chanson qui a contribué à la popularité de sa musique. «J’ai toujours été assez à l’aise avec ce succès modéré, voire niché, qui garde une fenêtre ouverte sur le grand public, lance Klô Pelgag. Je n’ai pas eu un gros hit radio qui a fait embarquer tout le monde dans mon bateau. Le bateau a pris du temps à se remplir.» Elle perçoit même l’intérêt soudain des gens pour une chanson comme un élément de stress. «Si j’étais Hubert Lenoir, en ce moment, je serais tellement nerveuse!» dit-elle en riant. Darlène a effectivement captivé un large public en peu de temps, et les attentes pour la suite ne peuvent qu’être vertigineuses. «Beaucoup d’artistes qui ont connu un succès radio subissent la pression d’en faire un autre. Je suis contente de ne pas vivre ça, parce qu’on n’a aucun contrôle sur la façon dont une chanson va être perçue.» Et si un grand raz-de-marée Klô Pelgag s’emparait des ondes des radios commerciales, serait-elle heureuse? «C’est dangereux, répond-elle. J’adore le public que j’ai et j’aurais peur de le perdre. Je ne voudrais pas être une musicienne qui a du succès, parce qu’on tripe alors sur la vedette plus que sur l’artiste. J’aurais peur de n’être réduite qu’à ça.»

Au contraire, le succès a frappé Roxane Bruneau de plein fouet. Après la sortie de Dysphorie (2017) – sur lequel on pouvait notamment entendre Des p’tits bouts de toi, qui a immédiatement conquis les ondes –, elle a cru que tout s’arrêterait là. «Je ne pensais pas être capable de réécrire des chansons, lance-t-elle. Je me suis dit que ce serait ces 12 chansons, merci, bonsoir, fini. Ça faisait 20 ans que j’écrivais ces tounes-là! Un deuxième album? Pour moi, ça ne se pouvait même pas.» Pourtant, Acrophobie (2020) est né... La pandémie a stimulé la créativité de Roxane, qui continue de produire du nouveau matériel.

Une recette gagnante, ça existe? 

Le mouvement de solidarité Musique Bleue est né en 2020 pour encourager la découverte musicale en mettant de l’avant la consommation de musique du Québec. Autrement dit, il fallait réagir, car le constat est alarmant: les radios commerciales québécoises ne diffusent pas la musique québécoise. Encore plus troublant: les quelques artistes locaux qu’on y entend sont souvent les mêmes et, parmi eux, on y trouve peu de femmes. Roxane Bruneau échappe cependant à cette crise. Elle fait partie de ceux qui bénéficient d’un succès radio lucratif. «Il n’y a pas de recette, dit-elle. J’écris comme ça vient. Que ça fonctionne ou non ne m’appartient pas.» Vincent Roberge est l’artiste derrière Les Louanges. En lançant La nuit est une panthère (2018), il a obtenu assez rapidement le respect du grand public et celui de la critique. Son second album est prévu pour 2022. Le premier extrait, Pigeons, sorti au printemps dernier, est une œuvre d’art à part entière, dansante à souhait et facile à retenir. «Je suis plus musicien que parolier, admet Vincent. Pour mon deuxième album, déjà enregistré, j’ai vraiment travaillé les textes. Ils sont simples, un peu cheesy, mais musicalement le projet est assez chargé d’arrangements spéciaux pour que ce ne soit pas quétaine. Comme un alchimiste, j’ai créé une recette et, humblement, je crois qu’elle est bonne.»

Étrangement, cette recette n’est pas la même que celle du premier album, qui a pourtant triomphé. «Plein de choses me dérangent quand je le réécoute, précise-t-il. Et ce n’est pas une question de temps. Je pensais déjà la même chose il y a trois ans. C’est pour ça que je veux me surpasser. C’est l’idée, non? Tenter de faire mieux qu’avant.» Pour lui, la clé de la victoire est de se démarquer. «J’ai envie de faire un certain type de musique, et quand je constate que personne ne fait ça en ce moment au Québec, je me lance. Pas plus compliqué que ça.

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