Expériences marquantes, réflexions, fantasmes... 10 plumes de chez nous racontent dans leurs mots comment s’est forgée — et continue d’évoluer — leur perception de la beauté.  

Lipstick, par Chris Bergeron 

Je voulais des lèvres rouges, presque bourgogne, des lèvres de femme des années 1990 qui écoute les Cranberries ou Sarah McLachlan. Mes lèvres à moi étaient trop pâles. Pire, il y avait de la moustache au-dessus, de la barbe en dessous, que je rasais deux fois par jour. Je voulais des lèvres rouges, presque bourgogne. Je voulais me sentir mystérieuse comme les personnages des livres d’Anne Rice. Alors, comme un vampire, je volais. Comme un voyou, je volais. Le vol à l’étalage, ce n’était pas un choix. Je manquais de courage: affronter la caissière du Jean Coutu, c’était trop pour moi.

J’ai pris le tour du vol à l’étalage. C’était plus simple à l’époque. Les emballages étaient moins paranoïaques. Ils se défaisaient facilement. Je cherchais les angles morts, loin des miroirs et des caméras de sécurité. Nerveux/nerveuse, j’empochais le premier rouge qui me tombait sous la main. Je le glissais dans ma poche, faisais sauter la pastille de plastique qui aurait activé les alarmes. Je sortais calmement de la pharmacie, puis, à la course, je rentrais chez moi sans me retourner. À la maison, je m’enfermais dans la salle de bains, bien cachée du regard de mes parents, pour l’appliquer. 

Le rouge volé n’était jamais de la bonne couleur. La couleur parfaite, il fallait que je la mérite, que je fasse des caissières mes amies, des maquilleuses mes complices. Mes lèvres n’étaient pas encore à moi. Mais elles le sont aujourd’hui. Ça, ce n’est pas du vol.

Chris Bergeron est autrice du roman Valide, chez XYZ, en librairie.

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