Périménopause : le grand tabou
Dépression, anxiété, insomnie... En périménopause comme à la ménopause, de graves symptômes peuvent apparaître et nuire considérablement à notre qualité de vie.

L’hormonothérapie bio-identique peut être une solution, mais encore faut-il la connaître, la comprendre et, surtout, en parler! On fait le point.
«J’ai commencé à perdre mes cheveux de façon inquiétante et à prendre du poids, se rappelle Julie. Et surtout, j’étais misérable dans ma tête et dans mon corps. J’étais beaucoup plus anxieuse que d’habitude, je faisais de l’insomnie et je remettais ma vie en question chaque mois, au moment des règles, qui étaient devenues très abondantes, au point que je devais changer de protection périodique toutes les 30 minutes et qu’il m’arrivait de m’évanouir. Je me disais que je gérais mal mon stress et que je n’étais pas à la hauteur, tant au boulot qu’à la maison...» À 39 ans, Julie avait l’impression de s’enfoncer dans un trou noir, sans en comprendre les raisons. À l’époque, sa médecin de famille lui avait conseillé de prendre la pilule contraceptive, des somnifères et des antidépresseurs, un cocktail de choc censé la remettre sur pied. «J’avais l’intuition qu’on ne s’attaquait pas au vrai problème, mais j’avais essuyé un refus catégorique de sa part de procéder à des tests pour établir mon bilan hormonal. En en parlant autour de moi, une amie m’a conseillé d’aller consulter une spécialiste des hormones. Après avoir cherché dans le réseau public, j’ai dû me résigner à me tourner vers le privé.» Un rendez-vous, quelques tests et des centaines de dollars déboursés plus tard, le diagnostic de périménopause est tombé. «Ç’a été une révélation pour moi, car j’avais une preuve scientifique sur papier qui expliquait tous mes symptômes, ce qui me permettait d’envisager enfin des solutions», se souvient Julie, qui a 43 ans aujourd’hui.
Les symptômes de la périménopause
Si la périménopause (qu’on appelle aussi préménopause), annonciatrice de la ménopause, prend différentes formes, elle s’explique toutefois de la même façon: une chute et un déséquilibre des principales hormones de la reproduction. Le taux de progestérone – qui sert notamment à préparer l’utérus pour accueillir une grossesse – baisse, tout comme celui, plus tard, d’oestradiol – qui sert notamment à développer et à maintenir les caractères sexuels secondaires féminins (comme les règles, les seins et l’ovulation). «La périménopause s’étend en général sur 10 à 15 ans, et les changements peuvent être draconiens ou insidieux», explique la Dre Lyne Desautels, spécialiste de l’hormonothérapie et directrice médicale de la clinique médicale privée CMIE. Anxiété, irritabilité, insomnie, saignements abondants, cycles menstruels plus courts, pertes de mémoire, acné, palpitations cardiaques bénignes, changements dans la pilosité, fatigue excessive, humeur dépressive, douleurs articulaires, sudations nocturnes... La liste des symptômes est longue, et le diagnostic est compliqué à poser pour un médecin qui n’en a pas l’habitude. «Cependant, en questionnant et en écoutant nos patientes, on se rend compte qu’il s’établit facilement et qu’on peut le confirmer par des tests sanguins», ajoute la Dre Desautels.
Un mal-être parfois ignoré
Avant de prendre rendez-vous au privé, Julie a d’abord consulté sa médecin de famille pour savoir si son état physique et mental pouvait être le signe d’une préménopause. «Elle n’y croyait pas pantoute et, à vrai dire, elle ne voulait même pas en parler», se rappelle-t-elle. Il y a trois ans, Lily est allée dans une clinique de fertilité pour comprendre pourquoi elle n’arrivait pas à tomber enceinte. À 34 ans, elle aussi a reçu un diagnostic de périménopause. «L’endocrinologue présente sur place m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour moi et qu’il fallait que je consulte ma médecin de famille», témoigne-t-elle. Depuis, sa praticienne refuse de l’envoyer voir un endocrinologue tant qu’elle a encore des menstruations. «Je me prépare à faire mes propres démarches et à aller en clinique privée, à mes frais, se désole-t-elle. En attendant, je me traite par l’acupuncture pour essayer de régulariser mes cycles menstruels.»
Pour la Dre Sylvie Demers, ce genre de refus de la part de certains médecins s’explique par un manque de connaissance plutôt que par une mauvaise volonté ou une incompétence. «Le problème est que la médecine est morcelée – il y a une soixantaine de spécialités au Québec – et, souvent, les recommandations que les médecins de famille reçoivent sont faites par les spécialistes qui regardent essentiellement la partie du corps dont ils s’occupent, quand bien même les hormones féminines jouent un rôle à tous les niveaux, explique-t-elle. La formation en gynécologie-obstétrique est notamment très axée sur la grossesse, l’accouchement et la contraception, mais elle est à peu près inexistante en ce qui concerne les conséquences multiples de la préménopause-ménopause dans le bien-être et la santé des femmes. Depuis une vingtaine d’années, il y a eu une régression sur ce plan dans la formation médicale même si, depuis peu, on remarque un regain d’intérêt.»
Les hormones bio-identiques: mal connues
Médecin de famille, biologiste et docteure en médecine expérimentale, auteure du best-seller Hormones au féminin: Repensez votre santé et fondatrice du Centre ménopause-andropause Outaouais, la Dre Demers a consacré une bonne partie de sa carrière à analyser les multiples rôles des hormones féminines dans la santé humaine et à améliorer la façon de prescrire l’hormonothérapie féminine bio-identique. «Même si la ménopause est un processus naturel, on peut s’en occuper, de la même façon qu’on porte des lunettes lorsqu’on est atteint de presbytie, précise la spécialiste. On sert souvent aux femmes l’argument de la nature, et l’on a intégré qu’il était normal de souffrir quand on est une femme. Pourtant, des solutions existent.» C’est là que les hormones bio-identiques entrent en jeu. Ces hormones, identiques aux hormones qu’on produit naturellement (contrairement aux hormones traditionnelles), agissent de la même façon, en répondant aux besoins du corps et en remplissant les mêmes fonctions, ce qui évite ou minimise le risque de subir des effets indésirables ou secondaires. «Lorsqu’elles prennent des hormones bio-identiques à une dose adéquate, les femmes vont mieux, prennent moins de médicaments et ont d’ailleurs une espérance de vie plus grande, d’après certaines études», ajoute la Dre Demers.
La médecin de famille de Lily ne lui a jamais mentionné l’existence de l’hormonothérapie, mais Julie, elle, prend depuis quelque temps du Prometrium, soit de la progestérone bio-identique prescrite par sa patricienne au privé. Un mois après le début du traitement, elle se sentait déjà mieux. Cinq mois plus tard, elle avait constaté un changement considérable, et ce, à tout point de vue: perte de cheveux, anxiété, poids et cycle. «J’ai arrêté mes antidépresseurs et la pilule contraceptive, j’ai diminué de 75 % ma dose de somnifères, et mes règles sont retombées à quatre jours, sans être trop abondantes, indique-t-elle. Au bout d’un an, mon niveau d’hormones était remonté et moi, j’avais l’impression de retrouver la Julie d’avant!»
Une histoire qui finit bien? Oui et non, car si la quarantenaire a trouvé une solution efficace dans les hormones bio-identiques, beaucoup de femmes n’y ont tout simplement pas accès. C’est d’abord une raison économique: contrairement aux hormones traditionnelles, les hormones bio-identiques ne sont pas remboursées par la RAMQ, à moins que notre médecin n’en fasse une demande écrite à la Régie en déclarant qu’on a une intolérance grave à l’acétate de médroxyprogestérone (la substance artificielle que referment les premières). Ensuite, comme l’a vécu Lily, les médecins ont encore tendance à ne tout simplement pas en parler. «Les hormones continuent de faire peur, car on ne présente souvent que les risques liés à l’hormonothérapie traditionnelle, comme l’augmentation des cas d’infarctus du myocarde et de cancer du sein, souligne la Dre Demers. Or c’est l’acétate de médroxyprogestérone – une progestine, soit une molécule artificielle – qui est responsable de ces problèmes, et non les hormones bio-identiques.
Le pire, c’est que de nombreuses femmes ont cessé l’hormonothérapie par crainte, quand ce n’était pas leur médecin qui les y obligeait.» Pourquoi continue-t-on alors de fabriquer des hormones à base de progestine (qu’on retrouve d’ailleurs en quantité importante dans les pilules contraceptives)? Pour la Dre Demers, c’est une question d’argent et d’ignorance: d’un côté, la progestérone ne coûte rien à produire, mais elle n’est plus brevetable, contrairement aux nouvelles progestines. Donc il n’y a pas d’argent à faire pour les entreprises pharmaceutiques qui cherchent avant tout à devancer la concurrence par leurs innovations.
En attendant, la souffrance, autant physique que psychologique, est bien réelle pour certaines femmes en périménopause. Et si les antidépresseurs sont souvent prescrits pour traiter les symptômes dépressifs, ce n’est pas toujours le bon choix. «On adopte trop souvent cette solution au lieu de regarder réellement ce qui se passe et de traiter le vrai problème lorsque la dépression résulte d’un dérèglement hormonal, précise la Dre Desautels. Or l’hormonothérapie peut être préventive à la dépression et à bien d’autres syndromes ou maladies, car on agit avant que de trop grands déséquilibres s’installent.» Cependant, comme le nuance la Dre Sophie Desindes, gynécologue-obstétricienne au CHUS et professeure titulaire au département d’obstétrique-gynécologie de l’Université de Sherbrooke, l’hormonothérapie bio-identique a ses limites. «En cas de dépression ou de troubles anxieux majeurs, la prise d’hormones ne sera pas suffisante la plupart du temps, explique-t-elle. Il faut donc bien choisir son traitement.»
Une médecine de précision
Si les analyses sanguines et le diagnostic confirment bien une périménopause, la prescription des hormones bio-identiques ne se fait pas comme ça: c’est du cas par cas. Par ailleurs, le dosage est plus complexe à établir en périménopause, période de grands chamboulements, qu’en ménopause, quand les hormones varient très peu. «On doit s’assurer que l’hormonothérapie est la plus sécuritaire possible, c’est-à-dire qu’elle doit être personnalisée et équilibrée, reprend la Dre Desautels. C’est ce qu’on nomme la médecine de précision, et celle-ci nous permet de mieux comprendre et d’adapter nos thérapies selon les facteurs de risque du patient. D’ailleurs, il a été prouvé que certaines hormones, lorsqu’elles sont bien données et bien dosées, nous protègent aussi du cancer et que l’hormonothérapie bio-identique semble améliorer la santé à long terme.» Les bienfaits sont donc nombreux, mais il s’agit maintenant de les faire connaître au plus grand nombre. La Dre Demers conseille d’en parler à notre médecin qui «n’est pas forcément au courant, même si les mentalités sont en train de changer». Elle-même donne une formation intensive en hormonothérapie féminine aux professionnels de la santé et publie sur son site (drdemers.com) le nom des médecins, des pharmaciens et des autres spécialistes qui l’ont reçue.
L’information est la clé pour que les mentalités changent et que tous aient droit à un traitement personnalisé et efficace lorsqu’ils en ont besoin. «On n’entend jamais parler des hormones, déplore Julie. Il y a comme une sorte de tabou parce que toutes les femmes passent par la préménopause et par la ménopause. Et alors? Ce n’est pas parce qu’on a des symptômes qu’il faut se résigner et ne rien faire!» C’est peut-être là le problème majeur: la souffrance que vivent les femmes au cours de leur vie – de la douleur des règles aux symptômes de la préménopause et de la ménopause – est encore et toujours banalisée dans notre société. Il est grand temps que les choses changent.