10 000 mains levées : l’histoire de 5 nouveaux préposés qui ont répondu à l’appel
Mai 2020. Dans les CHSLD s’invite le seul visiteur dont on aurait pu se passer : le coronavirus. Tous les projecteurs se tournent alors vers les centres sur lesquels on a souvent préféré fermer les yeux. On n’arrive pas à stopper l’hémorragie de personnel, les cadavres s’empilent: situation catastrophique.

François Legault ne tarde pas à réagir: il appelle les Québécois à embrasser massivement le métier de préposé aux bénéficiaires en leur proposant une formation accélérée de trois mois et un salaire plus intéressant qu’avant. Objectif: 10 000 recrues.
Ils sont nombreux à lever la main. À virer leur vie comme une crêpe pour aller s’asseoir sur les bancs d’école. Mais derrière masques et visières, qui sont-ils, ces nouveaux préposés? «Des gens attirés par l’argent!» ont affirmé les mauvaises langues. Voici cinq histoires qui racontent tout le contraire.
Ne plus jamais se sentir impuissante
Samantha Pilorge n’avait pas pu leur venir en aide. Ils étaient partout, autour d’elle, sous les décombres, et la peur la paralysait. Elle ne savait pas quoi faire, comment se rendre utile. C’était en 2010, à Haïti. Même si elle dit avoir été elle-même chanceuse, la culpabilité et le sentiment d’impuissance qui ont grandi en elle devant la dévastation de son pays l’ont suivie, comme un petit bagage indésirable, lorsqu’elle a immigré au Québec deux ans plus tard.
Ici, elle vit un choc des cultures. Les gens lui semblent moins faciles d’approche, plus distants... sauf les personnes âgées. «J’étais vendeuse. Et avec eux, il suffisait d’un mot pour lancer 15 minutes de conversation!» se souvient-elle.
Ainsi, quand l’appel aux préposés résonne aux quatre coins de la province, plusieurs de ses cordes vibrent. Ce désir d’aider, de se sentir utile, de prendre soin des autres... Et pas de n’importe qui! De ces gens âgés qu’elle aime tant et avec qui le contact est si facile. Samantha, encouragée par son amoureux et une de ses amies, fonce.
Son nouveau métier apporte, certes, un baume sur son passé, mais aussi une certitude quant à son avenir: celle d’avoir trouvé sa voie.
Jouer le rôle de sa vie
Jean-Sébastien Lavoie voyait ses projets tomber les uns après les autres. Il devait jouer au théâtre au Bic tout l’été, puis chez Duceppe en septembre. Comme bien des comédiens, il ne lui restait plus qu’à attendre chez lui que le désert culturel imposé par la pandémie reverdisse un peu. Mais quiconque connaît Jean-Sébastien – Jack pour les intimes – sait qu’il n’est pas du genre à se défiler quand on a besoin de bras. Un beau jour, assis devant le point de presse, il entend parler de la situation catastrophique dans les CHSLD et dit à sa blonde: «Moi, je peux faire ça.»
Il le sait, car il l’a déjà fait, en quelque sorte, lui qui a travaillé dans un camp de jour pour enfants handicapés pendant une bonne dizaine d’étés. Se sentant investi d’une mission, Jack fonce. «J’me suis dit: “Eille, toi, l’beau jambon qui a du temps en masse, vas-y donc!”» se rappelle-t-il en riant.
La situation qui l’attend en CHSLD, elle, n’a rien de drôle. Mais ça ne fait que confirmer à quel point on avait besoin que des gens comme lui s’en mêlent. Tant sur le plan professionnel qu’humain, il dit apprendre chaque jour de son nouveau rôle de préposé aux bénéficiaires, un rôle à des années-lumière de ceux qu’il aurait dû jouer cette année...
Trouver l’amour entre deux changements de couche
Véronique Vandelac n’en pouvait plus. Directrice artistique et accessoiriste sur les plateaux de cinéma, elle se relevait d’un épuisement professionnel et avait envie de se consacrer à quelque chose de moins superficiel. De son côté, Mathieu Casavant se retrouvait devant rien. Son école de danse était fermée en raison de la pandémie, et tous ses autres engagements – comme danseur professionnel et comme animateur de soirées – s’étaient évaporés les uns après les autres. Le jeune homme, d’une nature sociable, n’en pouvait plus de la réclusion et du sentiment d’inutilité grandissant qui l’envahissait.
Tous deux ont levé la main. Véronique se retrouve donc assise dans une classe du centre de formation de Compétences 2000. Le deuxième matin, sur un coup de tête, elle change de place. Mathieu arrive à la dernière minute et s’assoit sur le seul siège restant, celui à côté d’elle. Ils sont ainsi amenés à faire équipe et à se servir mutuellement de cobaye. «Elle m’a rasé, elle m’a brossé les dents, elle m’a nourri, lavé, changé de couche!» se souvient Mathieu en riant.
Rien de bien romantique jusqu’ici. Or, un midi, ils retirent leur masque pour manger... et chacun craque pour le sourire de l’autre.
C’était en juin 2020. Onze mois plus tard, Véronique donne naissance à Luna et Gaïa, leurs jumelles.
Et pendant que Mathieu poursuit son travail auprès des personnes âgées, c’est à deux minuscules petites bénéficiaires que se consacre Véronique pour l’instant, pour son plus grand bonheur
Passer de l’ombre à la lumière
Imen Soua avait perdu le goût de vivre. Elle avait déraciné ses deux jeunes enfants de leur Tunisie natale pour leur offrir une vie meilleure. Or, une fois ici, ce n’est pas le pays qui a failli à ses promesses, mais son propre mari, un pervers narcissique qui l’a emprisonnée dans un cercle de harcèlement psychologique invivable. Imen dépérissait. Deux fois, une surdose d’antidépresseurs l’envoie à l’urgence. Appel à l’aide? Désir d’en finir? «Inconsciemment, je voulais partir», avoue-t-elle. Son papa traverse alors l’océan pour secourir sa fille unique.
Avec son soutien, elle quitte le mari toxique. Ce dernier lui vole ses papiers et s’empresse de rentrer en Tunisie, abandonnant ses enfants. Imen, elle, baisse la tête et va de l’avant.
Elle aussi lève la main lorsque le premier ministre lance son appel. Certes, le métier de préposée comporte une grande part de techniques, mais c’est surtout le contact avec les personnes âgées qui l’intéresse. Avant de s’expatrier, elle était titulaire de l’équivalent d’un baccalauréat en psychologie. «Les démences, les maladies neuropsychologiques, la détérioration, la maladie d’Alzheimer; je connaissais déjà tout ça, théoriquement. Je me retrouve donc face à ce que j’aime le plus! Je suis faite pour ça!» conclut-elle avec ravissement.
Ce ne sont là que 5 histoires, 5 préposés sur 10 000, mais qui ont tous une chose en commun: en allant prendre soin des autres, c’est aussi à eux-mêmes qu’ils ont fait du bien. Comme quoi, le secret du bonheur est parfois plus simple qu’on pense.