Ados garçons et féminisme : devenir un homme à l’ère de #MeToo

Si les adolescentes québécoises s’intéressent davantage au féminisme depuis quelques années et n’ont pas peur d’adhérer au courant, qu’en est-il de leurs pairs masculins? Comment les garçons de 13 à 17 ans perçoivent-ils les luttes pour l’égalité, les mouvements de dénonciation de comportements toxiques, et les multiples autres enjeux sociaux et économiques liés au féminisme?
Il y a quelques années, j’ai été invitée à coanimer des ateliers sur le consentement et les agressions à caractère sexuel dans des groupes d’élèves du secondaire. J’en suis sortie très troublée par la persistance de certains discours antiféministes et par la colère dirigée contre les femmes chez certains jeunes. C’était avant la déferlante des mouvements de dénonciations des derniers mois et, surtout, avant le retour des cours obligatoires d’éducation à la sexualité dans les écoles québécoises, à la rentrée scolaire 2018-2019. En 2021, est-ce que les choses ont changé? Nos adolescents garçons sont-ils davantage sensibilisés aux causes féministes? Pour répondre à ces questions, j’ai sondé de nombreux jeunes garçons québécois, et j’ai eu la chance de m’entretenir avec des intervenantes exceptionnelles qui les côtoient régulièrement.
C’EST QUOI, LE FÉMINISME AU QUÉBEC EN 2021?
«Pour moi, le féminisme, c’est l’égalité entre les hommes et les femmes», m’ont tous répondu les adolescents qui ont accepté de collaborer à cet article. Grosso modo, c’est pas mal la définition du mot. On pourrait donc être tenté de croire que nos adolescents garçons ont une conscience aiguë de la nécessité de poursuivre les combats en ce sens. Or, pour la majorité d’entre eux, cette égalité des sexes est atteinte au Québec. «Ailleurs dans le monde, il y a encore vraiment beaucoup de chemin à faire, mais ici, au Québec, les femmes sont traitées de la même façon que les hommes: elles ont les mêmes droits, peuvent aller à l’école, travailler et voter. Je ne vois pas vraiment d’inégalités...», m’écrit Boris, 16 ans.
Certes, d’énormes avancées ont été faites au Québec au cours des dernières décennies: création de garderies subventionnées, bonification du Régime québécois d’assurance parentale, meilleur accès aux études supérieures, efforts pour viser la parité dans certaines institutions, etc. Cependant, on constate encore un écart salarial important entre les hommes et les femmes, ainsi que de nombreuses inégalités liées à la parentalité et aux stéréotypes de genre. «Oui, il y a peut-être encore des problèmes avec l’équité salariale mais, en même temps, ça vient du fait que les filles choisissent des métiers moins payants!» me répond Arthur, 15 ans. Ouch!
«La perception du féminisme, chez les jeunes adolescents, est souvent pleine d’incompréhensions. Ils ne comprennent pas nécessairement pourquoi on utilise ce mot là ni quelle est leur place à eux dans ces enjeux», m’explique Florence Valiquette- Savoie, cofondatrice des Ateliers SexURL avec sa collègue, Estelle Cazelais. Les deux sexologues parcourent notamment les écoles du Québec pour offrir des services d’éducation à la sexualité, dans une perspective de dialogue et d’ouverture à la diversité. «Ce qui est intéressant, avec les jeunes, c’est d’amener une vision inclusive des enjeux sexistes», résume Estelle. Justement. Quels sont ces enjeux, et comment sont-ils perçus, voire vécus, par nos jeunes hommes en devenir?
ENJEUX, PERCEPTIONS ET POSITIONS
Le sujet des violences sexuelles rallie la grande majorité des adolescents qui ont accepté de me parler. «C’est inadmissible, ça ne devrait jamais être toléré, et il faut vraiment que ça cesse!» s’exclame Sofian, 17 ans. Récemment, lors d’un cours d’éducation à la sexualité, il a appris avec effroi que près d’une Canadienne sur quatre est victime d’une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans. «Je n’en revenais pas, j’avais de la difficulté à le croire. Mais après, en en parlant avec mes amies, j’ai réalisé que la plupart d’entre elles avaient été victimes ou connaissaient une victime.» Les jeunes sondés se disent aussi très ouverts sur les questions de diversité, d’orientation et d’identité de genre. «Les jokes d’homosexuels et de non-binaires, sérieux, ça ne fait plus rire personne en haut de 13 ans», me dit Louis en roulant des yeux.
Lorsqu’on aborde d’autres enjeux, c’est beaucoup moins unanime. «Il y a un clivage entre ceux qui sont déjà sensibles à la cause, qui se sentent concernés et qui s’informent, et les autres. Je constate plus de résistance chez ces derniers lorsqu’on discute de stéréotypes de genre et de doubles standards, par exemple», me dit Maude Painchaud Major, formatrice en éducation à la sexualité et créatrice de la chaîne TikTok À poil! Tout comme Florence et Estelle, Maude privilégie une approche inclusive: «En laissant les ados s’exprimer librement et en les questionnant sur ce qui leur semble aller de soi, sur les raisons qui motivent leurs opinions, on peut détricoter certaines idées préconçues, certains préjugés tenaces.» Estelle abonde dans ce sens: «La plupart d’entre eux affirment que plusieurs choses viennent biaiser leur perception de la sexualité et des relations, comme l’éducation qu’ils reçoivent à la maison par exemple. Ils expliquent aussi qu’ils sont influencés par de multiples phénomènes sociaux, dont les représentations médiatiques.» Maude le constate aussi lorsqu’elle fait visionner aux élèves des publicités où les genres sont très stéréotypés (hommes musclés et virils, femmes qui correspondent aux standards de beauté traditionnels): «Pour certains, c’est confrontant de se faire dire que ces images sont des stéréotypes. C’est comme si l’on invalidait leur désir de s’y conformer ou le fait de s’y conformer déjà. Or, quand on déconstruit tout ça lors d’une discussion, ils comprennent que ce n’est pas “mauvais”, que ce n’est qu’une représentation parmi d’autres, mais qui est omniprésente dans notre société et qui les influence.»
SANS OUI, C’EST NON!
La notion de consentement est au coeur des discussions en matière de relations sexuelles, ces dernières années. On a même engagé l’avocate Suzanne Zaccour pour offrir une formation sur le sujet aux participants du dernier Occupation Double! Mais nos adolescents ont-ils bien compris, bien intégré ce concept? Savent-ils comment s’assurer que l’acceptation à toute relation de nature sexuelle est libre, éclairée et volontaire?
«En sept années d’enseignement, je n’ai jamais autant entendu parler de consentement entre les jeunes! Bon, des fois, c’est à la blague pour tout et n’importe quoi, genre: “Consens-tu à ce que je t’emprunte ce crayon deux minutes?”, mais c’est un pas dans la bonne direction», considère Lydia Duval Gagnon, qui enseigne le français au secondaire, à Montréal. Même son de cloche chez Maude Painchaud Major: «La sensibilisation est faite, je vois un changement sur ce plan-là. Ensuite, on peut parfois se demander si les jeunes ne se censurent pas par peur d’être jugés. Mais je pense que la majorité d’entre eux a surtout peur de ne pas savoir reconnaître les signes si leur partenaire ne consent pas.» Florence Valiquette- Savoie et Estelle Cazelais renchérissent: les adolescents garçons sont inquiets, ils craignent d’avoir mal agi sans le savoir, et ils voient parfois le consentement comme une montagne impossible à gravir.
C’est le cas d’Arthur, 15 ans, qui m’écrit que «si ça prend un formulaire avant chaque relation sexuelle, je préfère vivre dans un autre monde», reprenant un commentaire maintes fois entendu sur les ondes de certaines radios de la capitale nationale.
COMMENT FORMER LES HOMMES DE DEMAIN?
Toutes les intervenantes interrogées s’entendent pour dire que le programme d’éducation à la sexualité du ministère de l’Éducation est insuffisant, tant sur le plan de son contenu que sur celui du nombre d’heures annuelles qui sont allouées pour l’enseigner. Florence et Estelle souhaiteraient la mise en place d’un véritable cours dans le programme scolaire, chapeauté par des spécialistes. Si ce n’est pas possible, il serait au moins nécessaire de mieux outiller les équipes-écoles, de faire en sorte que les profs des autres disciplines aient accès à de la formation continue de qualité, tout en laissant la place aux OBNL qui se sont créé des expertises béton dans le domaine. «Ça prend un village pour former des êtres humains décents qui développent des relations saines et positives», résume Maude.
Pour les parents, le conseil est unanime: apprenez à connaître votre enfant, questionnez-le et écoutez-le sans jugement. Faites-lui sentir que ses émotions sont normales, valides, et faites preuve d’amour, de bienveillance et de patience. Maude ajoute: «Informez-vous! Certaines de vos croyances, de vos idées reçues sur les relations et sur la sexualité sont peut-être à détricoter aussi, et c’est normal!» C’est d’ailleurs en étant informé qu’un parent peut déconstruire certains discours basés sur l’ignorance ou calqués sur les opinions douteuses qui circulent. «Les statistiques et les faits ne sont ni très sexy ni le fun, on le sait, mais ce sont des informations solides et crédibles. Quand un élève me dit que les femmes ne sont pas davantage agressées sexuellement que les hommes ou qu’elles portent plainte à la police pour attirer l’attention ou se venger, je reste calme et je sors les chiffres. En général, l’effet est instantané. La tension en classe diminue et on peut poursuivre la conversation sans que ça dégénère.»
Même si je vois bien qu’il reste du chemin à faire avant que nos ados garçons (et l’ensemble de la société) se sentent concernés par plusieurs enjeux féministes et relationnels, j’ai foi en leur avenir. L’éducation passe, entre autres, par la répétition et la diversification des méthodes, et nos intervenantes en éducation à la sexualité ainsi que nos enseignants ne manquent pas de créativité. En tant qu’adultes, nous avons tous notre part de responsabilité dans le devenir de notre société, et mon souhait le plus profond est de nous voir tous mettre la main à la pâte pour participer à l’édification d’un monde réellement égalitaire pour tous et toutes.
TÉMOIGNAGES
«Je suis souvent témoin de sexisme envers les filles, surtout des blagues pas drôles, mais bon, je n’interviens pas. En général, les filles répondent elles-mêmes, et je pense que c’est mieux comme ça.»
– LOUIS, 15 ANS
«Je trouve qu’on parle beaucoup de la beauté et de l’acceptation de tous les corps chez les femmes, et c’est très bien, mais je n’entends rien sur l’acceptation de tous les corps masculins. Je pense que ça devrait aller des deux côtés.» – LUDOVIC, 16 ANS
«Je pense que les dénonciations d’agressions sont fausses à 90 %. C’est souvent juste pour avoir de l’argent, et ça me dégoûte.» – ARTHUR, 15 ANS
«Pour moi, ça n’a pas de sens que les garçons et les filles soient traités différemment. Par contre, j’avoue que je n’ai pas envie de parler de ça avec mes amis gars. J’ai l’impression que ce n’est pas un sujet qui les intéresse. En fait, j’aurais peur de me faire rejeter. C’est pour ça que je préfère ne pas en parler. Peut-être que je vais plus oser quand je vais être au cégep...» – MARCUS, 14 ANS
«Tous les enjeux, comme la charge mentale, l’équité salariale et la parité, me semblent d’égale importance. Ça devrait déjà être réglé, on ne devrait pas encore avoir à agir là-dessus. Mais si on me demande de n’en choisir qu’un, je dirais que les violences faites aux femmes, c’est vraiment le plus urgent.» – FELIX, 13 ANS
«J’ai fait partie des jeunes qui ont mis une jupe à l’école pour dénoncer le double standard vestimentaire. J’avais aussi entendu parler du mouvement des carrés jaunes, qui milite pour l’évolution des codes vestimentaires. Pour moi, c’est juste normal de soutenir les filles là-dedans. Toutes les formes d’injustice me dérangent, et ça en fait partie.» – MATHÉO, 16 ANS
«Je ne comprends pas pourquoi on avait aboli les cours d’éducation sexuelle, pourquoi il n’y en a pas eu pendant si longtemps! Personnellement, j’imagine mal mes parents me parler de ces sujets-là, ils seraient trop gênés. Il me semble que c’est le rôle de l’école de nous informer pour qu’on ait tous et toutes les mêmes connaissances!» – SOFIAN, 17 ANS