Les femmes à chats : creuser sous les préjugés | Clin d'œil
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Les femmes à chats : creuser sous les préjugés

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On les considère parfois avec amusement, parfois avec une certaine pitié. Dans l’imaginaire social, elles sont habillées de vieilles robes de chambre tachées et entourées de nombreux chats à qui elles vouent toute leur vie.

«Elles», ce sont les folles aux chats, surnom péjoratif dont on affuble fréquemment les femmes qui choisissent d’adopter un ou plusieurs félins. Vous vous souvenez peut-être d’Eleanor Abernathy dans Les Simpson, l’iconique série d’animation. Cette vieille dame à l’allure négligée vit avec d’innombrables chats dans une maison insalubre. Même si elle a jadis travaillé à la fois comme avocate et médecin, elle ne parle désormais que de manière incompréhensible. Isolée, elle adopte en série des chats qu’elle lance souvent au visage de ses interlocuteurs. D’autres exemples existent, tirés de la réalité: Gwen John, artiste décédée en 1939, pauvre, seule et très malade. Amoureuse des chats, elle adorait les peindre en compagnie de femmes seules et, pour cela, les critiques l’ont ridiculisée tout au long de sa vie.

Aujourd’hui, son oeuvre est célébrée et reconnue comme précurseure du mouvement intimiste en peinture. Pensons également à Edith Bouvier, mère et fille (oui, elles portaient toutes les deux le même nom). Cette tante et cette cousine désargentées de Jackie Kennedy étaient issues de la bourgeoisie américaine. Elles habitaient un manoir de la campagne new-yorkaise qu’elles n’avaient plus les moyens d’entretenir et menaient une vie fantasque, entourées de leurs nombreux chats. On leur a consacré, en 1975, un documentaire devenu culte, Grey Gardens, dont HBO a fait un remake en 2009. La crazy cat lady, en anglais, est un stéréotype persistant qui trouve plusieurs itérations dans l’histoire. On dit que les femmes adoptent des chats pour combler leur solitude, l’animal aimé prenant ici la place d’un enfant ou d’un partenaire amoureux. Ce cliché véhicule aussi l’idée que pour plusieurs célibataires, rencontrer une femme qui possède un chat serait rébarbatif. Nous sommes pourtant loin d’avoir autant de mépris pour celles qui adoptent un chien, un lapin ou un poisson rouge. Pourquoi associe-t-on si fréquemment des problèmes de santé mentale au fait de posséder des félins comme animaux de compagnie? Une piste de réponse serait la toxoplasmose, une maladie causée par un parasite présent dans l’estomac de certains chats et qui engendre parfois chez la personne contaminée des comportements erratiques, dont des difficultés d’élocution. Or il est très rare que ces symptômes se développent.

Un stéréotype aux racines historiques  

Ernest Hemingway, Prix Nobel de littérature, adorait les chats. Il en avait une centaine dans sa maison de Key West, devenue musée, où vivent encore des dizaines de félins, fiers descendants de ceux que protégeait l’auteur du Vieil homme et la mer. Charles Bukowski, connu pour ses descriptions de beuveries, adorait aussi les chats. «Plus vous avez de chats, plus vous vivrez longtemps», a-t-il écrit. Pourquoi ces auteurs ont-ils tous deux conservé leur aura d’écrivains virils, à l’oeuvre prolifique? Pourquoi ne se moque-t-on jamais de leur amour des chats? Qu’est-ce qui les différencie tant de Gwen John, alors qu’ils ont vécu, comme elle, de grands accès de tristesse – menant Hemingway au suicide et Bukowski à l’alcoolisme et la dépression?

catwoman

Ce n’est pas le fait d’avoir un chat qui soulève la suspicion: c’est le fait d’être une femme qui en possède un; pire encore, une femme célibataire. Comme l’écrit Alice Maddicott dans Cat Women: An Exploration of Feline Friendships and Lingering Superstitions (2020), «lorsqu’on qualifie une personne de femme à chats, on sous-entend qu’elle a quitté les lieux acceptables de la société, qu’elle est devenue déséquilibrée, mentalement instable et désexualisée». Les origines de cette méfiance sont tentaculaires. On peut toutefois hasarder quelques hypothèses. Dans la mythologie égyptienne, Bastet, déesse de la maternité et protectrice des femmes, revêt l’apparence d’un chat. Dans la mythologie germanique, la déesse de l’amour et de la fertilité, Freya, est représentée sur un char tiré par deux immenses chats. Si se comporter en chatte, dans le langage populaire, est associé à la sexualité, et donc à la reproduction, c’est peut-être à cause de ces déesses. Au Moyen Âge, de nombreux mythes sont déboutés au profit de la christianisation, et c’est à partir de ce moment que les chats, toujours liés au féminin, sont perçus de manière beaucoup plus négative. Durant la chasse aux sorcières, à partir du 13e siècle, on disait des chats qu’ils étaient des démons, et beaucoup ont été brûlés en même temps que leurs maîtresses, des femmes vivant en marge de la société. Dans les années 1900, pour ridiculiser les suffragettes et montrer leur inaptitude politique, on les représentait sur des affiches comme des chats.

Cacher son amour des chats  

En 2021, le stéréotype reste tenace. Manel, artiste et commissaire, était en couple lorsqu’elle a adopté Choco, un beau chat aux longs poils noirs. Désormais séparée de son conjoint, elle remarque que les regards sur elle ont changé. «Lorsqu’on est en couple et qu’on a un chat, ça va. Lorsqu’on a un chat avec sa famille, c’est cute, alors pourquoi, lorsqu’on est célibataire, avoir un chat devient problématique?» se demande-t-elle. Fanny, qui termine un doctorat, est elle aussi célibataire et propriétaire de deux chats. Elle raconte avoir souvent essayé de diminuer l’importance de ses animaux dans sa vie lorsqu’elle rencontrait de potentiels amoureux. Même son de cloche pour Natasha, qui était célibataire lorsqu’elle a décidé d’adopter Blu, un chat de ruelle mal en point qu’elle a soigné. Ses amies ont essayé de l’en dissuader, argumentant qu’elle ne trouverait jamais d’amoureuse et qu’elle ferait mieux d’adopter un chien. Toutes trois sont effarées devant ces préjugés qu’elles intériorisent parfois et qui modulent leurs comportements face à autrui. Manel, par exemple, publie moins de photos de son chat qu’elle en aurait envie sur les médias sociaux, par crainte d’être jugée. Fanny s’interroge: «Pourquoi je ne pourrais pas avoir des chats et trouver l’amour, ou être épanouie toute seule avec eux? Je suis très heureuse en ce moment, célibataire avec mes chats. Je n’ai pas besoin d’un homme pour assurer mon équilibre.»

Fanny, Manel et Natasha sont des jeunes femmes de carrière, brillantes, pas du tout déphasées, comme le voudrait le stéréotype de la femme aux chats. Plusieurs études, dont une menée par l’Université de Californie en 1994, ont prouvé que les femmes possédant des chats n’étaient pas plus isolées, tristes ou déprimées que les autres. Les chats peuvent même aider à apprivoiser des sentiments négatifs. En effet, une autre étude de l’Université de Californie, de 2020 cette fois, montre que lorsque sa maîtresse est particulièrement anxieuse, le chat réagit par un surplus d’affection et de confiance à son égard. Pour Marie Hazan, psychanalyste et professeure de psychologie à l’Université du Québec à Montréal, le chat se prête particulièrement bien aux projections, parce qu’il est polysémique et difficile à résumer. «Il est fuyant, mais aussi câlin, indépendant, mystérieux et plutôt mignon», énumère-t-elle. La société, dit-elle, a tendance à projeter, dans le lien que les femmes entretiennent avec leurs chats, quelque chose de parfois érotique (pensons à Catwoman, sexe-symbole par excellence) ou de parfois lié à la maternité, les jugeant mauvaises mères de famille quand elles ont trop de chats pour bien s’en occuper et qu’elles finissent par ressembler à Eleanor Abernathy. Dans ces deux cas de figure, les femmes à chats vivent souvent sans homme. Et c’est peut-être cela, en fin de compte, qu’on a fini par ridiculiser, sans doute par crainte: les femmes et leurs chats remettent en question, à leur manière, l’ordre mondial basé depuis des temps immémoriaux sur le pouvoir des hommes. Les crazy cat ladies sont infiniment plus subversives qu’elles ne le semblent au premier coup d’oeil. 

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